L'Enjeu comptable et l'Europe

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L’enjeu comptable et l’Europe

MICHEL PÉBEREAU ET GÉRARD GIL

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Pour votre information, nous retrouvons dans la liste des membres d’honneur de « L’Academie » quasiment toutes les instances administratives, comptables, financières, juridiques, ministérielles, universitaires… On y retrouve même deux associations de CGPI et autres professionnels. Comment ne pas imaginer les difficultés qui s’annoncent pour les professionnels alors que la prise en compte des réalités énoncées ci-dessous et dans la vidéo (Rencontre avec JeanMichel Naulot – Ancien membre de l’AMF - Interview menée par William Nahum, président fondateur de l’Académie http://www.lacademie.info/videos/%28video%29/9058 ) seraient le meilleur moyen et la plus belle opportunité de se démarquer une bonne foi pour toute de la concurrence. Bonne lecture

L’enjeu comptable et l’Europe MICHEL PÉBEREAU ET GÉRARD GIL Le sentiment que la finance impose des contraintes aux entreprises a été accentué par la révolution des normes comptables. Elles fixent en effet les conditions d’établissement des bilans et des comptes de résultats, dont les évolutions mesurent les performances des entreprises. Depuis toujours, la comptabilité s’établissait selon le principe de la valeur historique (le coût historique des actifs et des passifs). Or, à partir des années 1990, les régulateurs comptables ont commencé à se référer assez systématiquement à la valeur de marché de ces actifs et de ces passifs, dans un souci de rationalisation et d’harmonisation au niveau international. Le principe de la fair market value s’est installé, légitimant aussi souvent que possible la valeur de marché (market value) comme la juste (fair) valeur comptable. Si le principe de la fair market value a un réel intérêt d’un point de vue comptable, il présente des inconvénients que la crise financière mondiale vient de confirmer. Or, l’objectif d’harmonisation des normes à l’échelle mondiale qui le justifiait ne semble plus d’actualité. Il serait dès lors raisonnable de s’interroger sur le cadre conceptuel le mieux adapté pour les normes comptables applicables aux entreprises en Europe. L’Union européenne devrait s’organiser pour défendre dans ce domaine ses intérêts et sa souveraineté. DEPUIS la crise financière mondiale de 2007-2009, on s’inquiète, en France, d’une financiarisation de l’économie qui affecterait l’économie réelle. Elle pousserait en particulier les responsables des entreprises à se concentrer sur leurs résultats à court terme, et à se détourner des stratégies de long terme. C’est un fait. Depuis que les États s’en sont remis aux marchés des changes pour fixer la valeur de leur monnaie dans les années soixante-dix, les marchés n’ont cessé d’élargir leur rôle dans le financement de l’économie : avec le mouvement de déréglementation, de privatisations, d’ouverture des frontières des années quatre-vingt dans les pays avancés et avec le choix de l’économie de marché un peu partout dans le monde après la chute du Mur de Berlin. La vigueur de la concurrence entre les acteurs et les innovations qu’elle a suscitées, ainsi que la révolution des techniques de l’information ont accéléré en permanence leur développement. Ils ont été un véritable moteur des échanges internationaux et de la croissance de l’économie mondiale. Comme les États, les grandes entreprises en sont de plus en plus dépendantes pour leur financement. Certains dirigeants sont obsédés par les variations de la cote de leur titre, devenues des indices de la qualité de leur gestion. Tous doivent s’inquiéter du jugement des spécialistes de plus en plus nombreux qui, au sein des agences de notation ou des institutions financières, analysent les performances des entreprises faisant appel aux concours des investisseurs sur les marchés. Le sentiment que la finance impose des contraintes aux entreprises a été accentué par la révolution des normes comptables. Celles- ci fixent en effet les conditions d’établissement des bilans et comptes de résultats, dont les évolutions sont les véritables indicateurs de performance des entreprises. Depuis toujours, la comptabilité s’établissait selon le principe de la valeur historique. Or, à partir des années quatre-vingt-dix les régulateurs comptables ont commencé à se référer assez systématiquement à la valeur de marché, dans un souci de rationalisation et d’harmonisation au niveau international. Le principe de la fair market value s’est installé, légitimant aussi souvent que possible la valeur de marché (market value) comme la juste (fair) valeur comptable. Les performances des entreprises sont devenues de plus en plus dépendantes des évolutions des valeurs de marché de certains de leurs actifs et de leurs passifs, sur lesquelles leurs responsables n’ont guère de prise. Si le principe de la fair market value a un réel intérêt d’un point de vue comptable, il présente des inconvénients que la crise financière mondiale vient de confirmer. Or, l’objectif d’harmonisation des normes à l’échelle mondiale qui le justifiait ne semble plus d’actualité. Il serait dès lors raisonnable de s’interroger sur le cadre conceptuel le mieux adapté pour les normes comptables applicables aux entreprises en Europe. L’Union européenne devrait s’organiser pour défendre dans ce domaine ses intérêts et sa souveraineté. Limites de la fair market value Les comptes des entreprises doivent être sincères. C’est la condition de la confiance qu’elles doivent inspirer à leurs partenaires, à leurs parties prenantes ; la condition aussi du développement en bon ordre des échanges commerciaux et donc de la croissance de l’économie. C’est ce qui explique que dans chaque pays les règles comptables soient depuis longtemps de la compétence des pouvoirs publics. Elles se référaient traditionnellement au coût historique des actifs et des passifs ; elles le faisaient évoluer par divers mécanismes d’amortissement et de provisionnement, qui l’ajustaient, le corrigeaient avec le temps, pour assurer une évaluation aussi pertinente que possible, et prudente. Cette méthode n’était pas sans inconvénients. La valorisation du même actif pouvait différer significativement selon les pays, les secteurs économiques et même les circonstances. Cela rendait difficile la comparaison des comptes et des résultats des entreprises au niveau international. La libéralisation des échanges et la mondialisation des marchés ont provoqué à la fin des années quatre-vingt l’explosion des activités financières de négoce, et la multiplication des intervenants. La fair market value a alors été logiquement introduite pour valoriser les opérations de négoce portant sur des titres dont le marché assurait une réelle liquidité. Son périmètre s’est progressivement élargi à tous les produits de négoce, puis, à la fin des années quatre-vingt-dix, à tous les instruments financiers dérivés, quel que soit leur usage. Dans une période de financiarisation des marchés et de développement de l’innovation financière, elle est allée jusqu’à représenter plus de la moitié du bilan des banques actives sur les marchés, et à concerner certains éléments du bilan de nombreuses entreprises. Les normalisateurs comptables se sont en effet convaincus que les marchés sont efficients, hypothèse défendue par un courant de pensée influent aux États-Unis : la meilleure prédiction que l’on peut faire sur le prix futur d’un actif financier serait son prix de marché. En outre, la valeur de marché présente des avantages considérables comme principe d’évaluation : elle est objective; elle est normalement indépendante de l’influence des acteurs économiques; et surtout elle peut constituer une référence unificatrice pour comparer les performances des entreprises. Aux États-Unis, le Financial Accounting Stan- dard Board (FASB) s’y est assez systématiquement référé pour établir ses règles d’évaluation. En Europe, la réalisation du grand marché intégré supposait des règles comptables communes. L’harmonisation des normes nationales s’est avérée aussi difficile que l’aurait été celle des langues européennes. Pour sortir du maquis de ces législations, l’Union a décidé de se référer aux normes de l’Interna- tional Accounting Standard Board (IASB), les normes International Financial Reporting Stan- dards (IFRS). Cet organisme privé a fait de la fair market value son principe directeur : pour tout actif et pour tout passif, en particulier financier, mais pas seulement, la seule juste valeur serait la valeur instantanée de marché. Cette valeur et ses variations respectivement inscrites au bilan et au compte de résultat des entreprises devaient permettre de disposer, à chaque publication, de la valeur économique de l’entreprise et de sa performance. Le principe, correspondant bien au référentiel de pensée du FASB, aurait pu servir de base aux négociations visant à la convergence des systèmes comptables pour établir un système universel de comptabilité. Cet objectif répondait bien aux besoins de transparence, d’objectivité et de comparabilité des comptes des entreprises, dans le contexte de la mondialisation. Les « bulles » et la crise financière La fair market value a favorisé l’« exubérance des marchés ». Dans la période d’euphorie du début des années 2000, les institutions financières et certaines entreprises ont vu leurs résultats comptables s’améliorer du fait de la hausse des prix du marché de leurs actifs, sans avoir à céder ceux-ci, ce qui a contribué à la poursuite de la hausse de ces prix. Ces performances comptables ont provoqué une augmentation des rémunérations variables qui leur étaient liées, en particulier les bonus des opérateurs de marché. Tout cela a contribué à susciter et à entretenir des bulles financières. Le mécanisme maintenant bien connu de la bulle américaine des subprimes en est une bonne illustration. À l’origine, il y a une erreur bancaire traditionnelle en période d’euphorie immobilière : la distribution massive de crédits hypothécaires à des débiteurs aux capacités de remboursement limitées ; l’amélioration continue de la valeur du gage est supposée éviter que le risque desdits crédits se concrétise. Ce risque est sous-estimé du fait d’une pratique, utilisée pour la première fois massivement par les banques d’investissement, qui permet de le disperser : la titrisation de portefeuilles de ces crédits, ou leur structuration par des véhicules titrisés ; l’évaluation de ces titres par les agences de notation et leur cession à des investisseurs. La valorisation à prix de marché ou de modèles des titres correspondants contribue, dans la période faste, à la constitution de bulles. Les investisseurs affichent des profits comptables d’autant plus importants que la forte demande de ces produits réduit les conditions des nouvelles émissions. Agences de notation et investisseurs ne perçoivent plus les risques. Le retournement du marché immobilier américain fin 2006-début 2007 crée des perspectives de pertes sur les crédits immobiliers sans commune mesure avec celles qu’avaient envisagées les agences de notation. Il met en difficulté d’importants émetteurs de produits subprime. À partir d’août 2007, les investisseurs s’inquiètent, perdent confiance. Ils se retirent rapidement non seulement des produits subprime, mais de la plupart des produits structurés : les prix chutent, certains marchés deviennent illiquides, voire disparaissent. Les valeurs données par le marché n’ont plus de rapport avec la valeur intrinsèque de certains instruments. Si seul le prix de marché est une juste valeur, comment évaluer un titre qui n’a plus de marché ? Cela met en difficulté des gestionnaires d’épargne ou de titres, des banques et des compagnies d’assurance, et incite certains investisseurs à retirer leurs avoirs des fonds où ils avaient placé leurs liquidités. Ce mouvement, amplifié par le comportement mimétique des investisseurs, entraîne ces fonds, banques et assureurs à vendre les actifs nécessaires pour rembourser les déposants, sur des marchés déjà asséchés et déséquilibrés par une offre de titres excédant largement la demande. Les pertes résultant de ces cessions forcées accentuent le comportement vendeur des investisseurs, et aggravent encore le déséquilibre des marchés et l’inquiétude sur la solidité de diverses institutions financières. Une crise de confiance généralisée en résulte, avec pour point d’orgue la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers. Il faudra une intervention coordonnée des banques centrales, puis des États pour éviter que la crise financière ainsi créée devienne systémique. En dépit de ses vertus, l’utilisation exclusive de la valeur de marché comme « juste valeur » a incontestablement eu un effet procyclique. Elle a contribué dans un premier temps à favoriser l’accumulation de résultats non réalisés, nourrissant bonus et dividendes. Elle a ensuite contribué à accélérer, amplifier et élargir la crise des marchés dont l’efficience supposée a été prise en grave défaut. Cette crise a validé les réserves qu’une utilisation trop systématique de la fair market value avait suscitées de la part de certains responsables du monde financier, notamment français, dès le début des années 2000. Elle s’est en effet produite dès la première période de retournement de cycle qui est survenue après que des instruments non liquides considérés comme de négoce ou disponibles à la vente eurent été évalués dans les états financiers des entreprises financières selon cette méthode. La convergence n’est plus d’actualité La crise ne fait toutefois pas oublier aux responsables économiques et politiques l’utilité de la convergence des normes comptables, dans une période où la poursuite de la mondialisation apparaît indispensable, tant pour résister au danger de tentations protectionnistes que pour alimenter la croissance économique. Le G20 est constitué pour assurer une réaction internationale coordonnée à la crise financière mondiale et à la crise économique qui lui fait suite. Dès ses premières réunions, il affirme la nécessité de résoudre les problèmes comptables qui peuvent être perçus comme la cause de crises locales ou globales : les règles de consolidation des véhicules ad hoc, qui sont un sujet surtout américain ; mais aussi les règles de provisionnement des prêts consentis par les banques qu’on soupçonne de dépréciations insuffisantes et tardives ; et le périmètre et les modalités d’application de la fair market value. Le G20 croit possible de parvenir à l’élaboration d’un référentiel comptable universel appliqué de manière homogène et globale. Il appelle les normalisateurs comptables à faire converger leurs principes et leurs règles vers ce référentiel unique. Cet objectif, séduisant, apparemment si rationnel et si consensuel, est rappelé à chaque réunion. Mais il va se heurter à deux obstacles : la démonstration de l’inadéquation de la valeur de marché et la position américaine. Dès avril 2008, le Forum pour la stabilité financière (FSB) remet au G7 – le groupe des sept grands pays industrialisés – un rapport recommandant, entre autres, la clarification et la limitation de l’usage de la fair market value. Il s’appuie sur les auditions organisées par les commissions parlementaires américaines en octobre 2007, peu après le début de la crise des subprimes. Des deux côtés de l’Atlantique, on se rend compte que l’utilisation extensive de la fair market value contribue à auto-entretenir la crise, à en accélérer la diffusion et en élargir l’ampleur. Les normalisateurs comptables prennent des mesures conservatoires et partielles pour en limiter l’usage pendant la crise. Dans le cadre du plan Paulson visant à stabiliser le système bancaire américain, le régulateur du marché, la SEC, reçoit en octobre 2008 le pouvoir de suspendre l’application de la valeur de marché comme juste valeur, pour des « raisons d’intérêt général » et « de protection des investisseurs ». On préconise l’étude des conséquences économiques de ce mode de comptabilisation pour les entreprises, et pour le système économique dans son ensemble. Au même moment en Europe, l’IASB est contrainte de revenir sur la comptabilisation des instruments financiers à la fair market value, et de permettre leur reclassement selon des règles de coût historique lorsque leur mode de gestion a changé du fait de la disparition de la liquidité. En avril 2009, le FASB autorise les intermédiaires financiers à comptabiliser certains actifs financiers non à leur valeur de marché, représentée par la dernière transaction effectivement observée, fût-elle isolée, mais à une valeur estimée à l’aide de modèles d’évaluation financière pour corriger les excès des marchés et privilégier la valeur intrinsèque. Les décisions des deux régulateurs d’autoriser les transferts en dehors du portefeuille de négoce des positions portées en raison de l’illiquidité des marchés ou à l’éloigner du prix de la dernière transaction observée contribuent incontestablement à stabiliser la situation. La crise a démontré l’inadéquation de la valeur de marché généralisée. Une démarche commune de révision des normes sur les instruments financiers de part et d’autre de l’Atlantique s’imposait. Elle n’a pas été effectuée. Depuis l’origine, l’IASB a assis et développé son audience en Europe et dans différents autres pays, par la perspective d’un ralliement de tous à un référentiel unique, celui de ses IFRS. C’est ce que devait assurer la stratégie de convergence. Mais, depuis 2008, aucun des thèmes jugés prioritaires n’a vu la réalisation de solutions convergentes entre les normalisateurs américain et international. Le FASB a encore affirmé récemment des orientations différentes de celles de l’IASB sur l’évaluation des instruments financiers, les modalités du provisionnement et le traitement des contrats d’assurance. Après les décisions du G20, on continuait néanmoins à cultiver l’espoir que la convergence était un objectif réaliste. Or, dans un rapport de juillet 2012, la SEC y renonce, provisoirement dit-elle, du fait des nombreux inconvénients que présenterait l’adoption des normes internationales pour ses constituants. Elle utilise en particulier un argument de souveraineté : la nécessité de prendre en considération et de protéger les marchés de capitaux américains. Seul le FASB via un mécanisme d’endorsement est en mesure de préserver les intérêts américains. Il est donc indispensable de le maintenir actif en la matière. Les arguments utilisés par la SEC seraient à vrai dire utilisables par tous les pays : il est logique que le choix de normes comptables soit effectué par chacun en fonction de l’équilibre entre les avantages et les inconvénients qui en résultent. À ce stade, les Américains semblent penser que les avantages n’équilibrent pas les inconvénients. L’Union européenne a décidé de retenir les IFRS comme référentiel comptable pour disposer d’un référentiel unique. Son choix a joué un rôle essentiel dans l’adhésion d’autres pays à ces normes. Mais la comptabilité est une question de souveraineté, pour elle comme pour les États-Unis. Elle doit pouvoir défendre ses intérêts, conserver sa capacité de jugement et d’initiative face aux propositions de l’IASB ; en particulier à propos du cadre conceptuel qui est en cours de révision, et qui pourrait être amélioré. Améliorer les normes IFRS Le cadre conceptuel des normes IFRS résulte de la transposition de celui qu’avait élaboré le FASB pour les besoins de la normalisation américaine. Il justifie la supériorité de la valeur de marché sur les autres méthodes d’évaluation et l’utilisation extensive qui en a été faite par un seul argument : l’utilité de cette information pour tous les utilisateurs. Le rapport du groupe de travail constitué par l’Association française des entreprises privées (AFEP) et le MEDEF a mis en évidence, en juillet 2013, les graves inconvénients d’une telle approche. Si le prix de marché est adapté pour l’évaluation des instruments liquides et pour les opérations de négoce, son utilisation extensive présente de sérieux inconvénients. Dans la liste des utilisateurs auxquels se consacre l’IASB ne figurent pas les entreprises, pourtant premières utilisatrices. Le cadre conceptuel ne peut ignorer leur point de vue, et il devrait donc prendre en compte deux sujets essentiels pour elles : la définition de la performance et le modèle d’activité (business model). On éviterait ainsi que les normes comptables alimentent le sentiment d’une financiarisation abusive de l’économie. Les auteurs qui ont théorisé l’hypothèse des marchés efficients ont développé la thèse que le prix des actifs observés sur les marchés reflète l’ensemble des informations disponibles sur ces actifs et des risques qui leur sont liés : le prix de marché constituerait donc une estimation non biaisée de la valeur intrinsèque de ces actifs. Sur la base de ce postulat, le prix donné par le marché à l’ensemble des flux d’un instrument est la référence adéquate ; et la variation de ce prix est le résultat objectif de la période. Mais cela si et seulement si la comptabilité a pour finalité d’informer sur les cash flows futurs de l’entreprise et si la définition du résultat de l’entreprise est limitée au changement de sa richesse globale sur la période. Tous ces postulats sont contestables. Tout d’abord un marché n’est efficient que si le prix des instruments reflète à chaque instant la dernière information disponible et si le comportement des agents qui s’échangent l’instrument est rationnel et non biaisé : cela suppose un marché parfaitement liquide. Or telle n’est pas la réalité : la crise financière vient au contraire de conforter la thèse que l’illiquidité des marchés est plutôt la règle et non l’exception. Or des prix de transactions isolés ou irréguliers ne donnent pas une bonne prévision des cash flows futurs d’un instrument et ne reflètent pas sa valeur intrinsèque. Et puis l’expérience a montré que le marché des actions lui-même pourtant très liquide fixe des valeurs qui varient considérablement d’un mois à l’autre, d’un jour à l’autre, voire d’une heure à l’autre : pourquoi l’une de ces valeurs serait-elle plus « juste » que l’autre ? En réalité, ce n’est que pour des marchés liquides et pleinement informés et pour valoriser les opérations de négoce que les prix instantanés de marché sont une référence incontestable, et que la performance doit être déterminée sur cette base. Pour le reste, la sagesse séculaire implique que les comptes soient établis sur la base de données fiables et déterminées avec prudence. Il est très contestable que ces deux qualités – prudence et fiabilité – ne soient plus explicitement contenues dans le cadre conceptuel révisé. Il serait sage de s’y référer à nouveau. Dans son cadre conceptuel, l’IASB fonde la supériorité de la valeur de marché sur l’intérêt de cette information pour ceux qu’il considère comme les utilisateurs des états financiers : les analystes et les investisseurs. Il écarte ainsi, par principe, le point de vue des entreprises. Ce prisme d’analyse participe d’une démarche universaliste au détriment de toute prise en compte des particularités des secteurs, des organisations d’entreprises et des spécificités des différents environnements économiques. Cette approche est vraiment très contestable : elle conduit à concevoir la comptabilité en fonction de préoccupations extérieures au monde des entreprises, en ignorant l’économie réelle. Cela a une implication importante au niveau des méthodes d’analyse des résultats. Les normes IFRS accordent une place prépondérante au bilan de l’entreprise, et le valorise autant qu’il est possible à la valeur instantanée de marché, ou à la valeur courante des actifs et des passifs. Elles relèguent l’expression de la performance au sein du compte de résultat à la différence de valeur de ces éléments de bilan entre deux dates. Il faut le reconnaître : cette logique n’est guère compatible avec celle d’un entrepreneur qui fonde toute son action sur l’amélioration, par sa gestion, de ses résultats d’exploitation. Leur identification comptable est pour lui une nécessité. C’est à partir de l’objectif comptable d’exploitation qu’il gère ses activités, dirige ses équipes, mesure sa performance. Ces informations sont à ses yeux nécessaires pour orienter les décisions des investisseurs et la compréhension des analystes. Pour lui, le bilan n’est adapté ni en principe, ni en pratique à l’analyse des résultats de l’entreprise, de sa performance. Les règles comptables doivent être cohérentes avec le modèle d’activité de l’entreprise, son business model. Or celui-ci n’est pas un concept explicitement reconnu dans le cadre conceptuel. Seules certaines des normes comptables y font, par exception, référence. Dans bien des secteurs d’activité, on peut trouver des business models fondamentalement différents : le négoce, la production, l’investissement ne peuvent être confondus. Tel est le cas pour les activités qui impliquent des instruments financiers. Tel est le cas aussi pour celles qui concernent les immeubles : les méthodes d’évaluation doivent être différentes selon que ceux-ci sont détenus par un marchand de biens, par un promoteur-constructeur, ou par un investisseur de long terme. Au demeurant, pour tous les investisseurs de long terme, la volatilité des marchés rend assez peu représentatif le choix du prix de marché à une date de clôture pour évaluer un bien qui a vocation à être détenu plusieurs années. Elle est en outre un paramètre dont les variations ne peuvent être couvertes par les gestionnaires. Cela incite à privilégier les instruments de court terme, moins sensibles aux évolutions futures, au détriment des placements de long terme, plus utiles à l’économie. L’intérêt de l’Europe L’Union européenne est le premier et principal client des normes IFRS. Or les besoins des Européens n’ont pas été jusqu’à présent servis avec l’attention et la diligence que pourrait justifier cette situation. Ils ont mis en œuvre les normes en 2005 dans le cadre d’un projet d’un coût très élevé, à ce jour inégalé dans le monde. Or, des refontes de ces normes ont été engagées pour sacrifier à l’objectif de convergence avec les normes américaines, dont l’avenir est désormais incertain, sans que les entreprises européennes aient la certitude qu’elles amélioreraient les normes de 2005. Certains textes dont la confection est engagée de longue date n’ont pas été achevés alors qu’ils sont attendus. La norme IAS39 a posé dès 2004 des problèmes si graves d’application que l’Union européenne a dû procéder à un carve out, la suppression de certains paragraphes. Or ces textes en cause n’ont pas été améliorés depuis lors malgré l’identification dès cette époque des thèmes à traiter pour réduire les aménagements auxquels l’Europe a dû procéder. Il est manifestement souhaitable que l’Europe se soucie, comme les États-Unis, de défendre ses intérêts, et se dote des moyens nécessaires pour ce faire. L’adoption des normes IFRS par l’Union européenne en 2002 et leur première application par l’ensemble des entreprises assujetties en 2005 ont constitué un indéniable progrès : elles ont assuré la comparabilité des performances des entreprises, et amélioré la qualité de l’information. L’adhésion à ces normes internationales a été une bonne décision pour l’Europe. Elle a aussi été très utile sur le plan international car l’exemple européen a entraîné l’adhésion de nombreux pays à ces normes. Il n’est donc pas question de la remettre en cause. Il faut avoir l’ambition de pérenniser l’utilisation des IFRS et de les renforcer en les considérant comme un acquis communautaire. Le groupe de travail constitué par l’AFEP et le MEDEF a proposé trois objectifs à cet effet : élargir et asseoir l’influence de l’Union européenne pour assurer la prise en compte effective des spécificités de son économie ; préserver ses intérêts fondamentaux tout au long du processus de normalisation ; la doter d’un dispositif institutionnel rendant possible l’expression de sa souveraineté dans ce domaine stratégique pour ses entreprises et pour son économie. Les interventions européennes dans le processus de normalisation comptable sont aujourd’hui dispersées. Chacun des constituants agit et s’exprime sans concertation systématique avec les autres, en fonction de sa culture et de sa doctrine comptables, et/ou des intérêts dont il a la charge. Cela explique que l’influence de l’Europe soit limitée. Son incapacité à obtenir depuis dix ans une solution au problème posé par son carve out de l’IAS39 en est la démonstration. Lorsqu’elle s’est déchargée sur l’IASB de la responsabilité de normaliser la comptabilité des grandes entreprises cotées, l’Union a négligé le caractère stratégique des normes comptables et la nécessité de les considérer comme un des instruments de sa politique économique. Il n’y a pas en Europe de responsable en charge d’étudier les interactions entre les besoins de l’économie, les mesures liées à la régulation des activités bancaires et des marchés, les principes et les règles comptables. C’est une lacune qu’il convient de combler. Il faut pour cela créer les conditions d’expression d’« une voix comptable européenne ». L’ E u r o p e a n F i n a n c i a l R e p o r t i n g A d v i s o r y Group (EFRAG) a été créé en 2001 pour donner des avis techniques à la Commission européenne sur les nouvelles normes proposées par l’IASB, comme représentant d’intérêts privés. Il existe, dispose d’une réelle compétence et de l’expérience du dialogue. La formule la plus pragmatique serait de l’utiliser. Il suffirait pour cela de changer sa composition et d’élargir sa mission. Pour préparer des positions communes, il faudrait en effet fédérer et articuler les représentations européennes et nationales. Cela pourrait se réaliser en rassemblant à l’EFRAG, aux côtés des instances nationales compétentes, les autorités européennes concernées (Banque centrale et régulateurs) selon les modalités que celles-ci accepteraient. Avec une telle composition, l’EFRAG pourrait procéder, pour toute nouvelle norme envisagée, à l’analyse critique de ses implications non seulement pour les entreprises mais aussi du point de vue des intérêts de l’économie européenne. Pour que sa voix soit entendue par les spécialistes de l’IASB, il faudrait le doter de la capacité de modifier une norme avant d’en conseiller l’adoption par l’Union européenne, voire d’élaborer une norme alternative dans le cas où les intérêts européens risqueraient d’être gravement affectés. Cette capacité constituerait surtout une arme de dissuasion efficace. Ses avis pourraient utile- ment faire référence à un cadre conceptuel européen qu’il aurait préalablement élaboré et soumis à l’approbation des autorités européennes. Une telle ambition justifierait qu’il dispose d’une capacité de recherche comptable qui lui soit propre et de moyens lui permettant de jouer un rôle d’orientation et de coordination de l’effort plus général de recherche souhaitable dans ce domaine en Europe. Une question de souveraineté ? De nombreux pays qui ont adopté les normes IFRS se sont dotés de la capacité de les adapter, voire d’adopter une norme procédant d’un autre référentiel. Les normes comptables sont en effet presque partout fixées ou agréées au niveau des autorités politiques. C’est au niveau de l’Union que les normes comptables proposées par l’IASB sont adoptées. Mais, jusqu’à présent, les autorités européennes ne se sont dotées que de la capacité de refuser celles qui ne leur conviendraient pas, comme elles l’ont fait avec le carve out de l’IAS39. Elles n’ont pas, pour l’instant, le pouvoir de définir une norme alternative. Or, l’Union a besoin de fixer sa stratégie en matière de comptabilité. C’est ce que démontrent les critiques que suscitent le cadre conceptuel des IFRS et les réserves provoquées par les projets actuels de l’IASB (crédit- bail, assurance, enregistrement des produits). Il peut y avoir des sujets sur lesquels les intérêts des différentes économies dans le monde ne sont pas convergents. Pour préserver ses intérêts, l’Union européenne doit avoir la capacité non pas seulement de refuser une norme IFRS, mais aussi de la remplacer ou de la modifier. Cela suppose qu’elle renforce ses critères d’adoption des IFRS : les normes adoptées ne doivent pas être préjudiciables à la stabilité financière ni entraver le développement économique de la zone et être conformes à l’intérêt général. Pour que cette démarche soit efficace, il faudrait parallèlement négocier la reconnaissance mutuelle des normes applicables dans le monde entre les différents pays ou groupes de pays concernés. Il ne serait en effet pas acceptable sur le plan de la souveraineté que les normes américaines soient reconnues en Europe alors que des normes adoptées par l’Europe ne le seraient pas aux États-Unis parce qu’elles divergeraient un tant soit peu des IFRS. L’uniformisation des normes comptables, à l’échelle de la planète, n’est plus aujourd’hui d’actualité. On ne peut que le regretter. Il faut continuer à espérer la convergence, et donc confirmer l’adhésion de l’Europe au processus engagé par l’IASB. Mais, dans ce domaine comme dans d’autres, l’Europe ne peut abandonner sa souveraineté. Ses institutions politiques doivent, comme celles des États-Unis, rester maîtresses de leur dispositif comptable pour faire en sorte qu’il s’accorde avec sa conception de l’économie et défende ses intérêts. Il est donc légitime d’obtenir de l’IASB la définition d’un cadre conceptuel des normes comptables qui tire complètement les leçons de la crise et prenne en compte les besoins des entreprises. Cela suppose avant tout que l’idée de full fair market value soit définitivement abandonnée. C’est essentiel du point de vue de la stabilité financière, et pour éviter que la comptabilité soit procyclique. Cela suppose aussi que le cadre conceptuel affirme la primauté des entreprises comme utilisatrices des normes comptables qu’elles ont à appliquer. De ce fait, les normes doivent faire du compte d’exploitation un instrument efficace de mesure de la performance de l’année, assurer une valorisation des actifs en fonction du business model des entreprises concernées, ne pas détourner les acteurs des placements et investissements de long terme. Il est indispensable que les préoccupations européennes soient pleinement prises en compte lors de l’élaboration et de la modification de chacune des normes. L’Europe doit pour cela se donner les moyens de parler d’une seule voix, et la capacité d’élaborer une norme spécifique si ses intérêts le rendent nécessaire. C’est là une question de souveraineté. C’est seulement en faisant en sorte que les normes établies par l’IASB soient conformes à son modèle économique et à ses intérêts que l’Union européenne se trouvera sur un pied d’égalité avec les États-Unis le jour où ceux- ci accepteront de négocier les normes universelles dont la nécessité finira bien, un jour, par s’imposer. MICHEL PÉBEREAU et GÉRARD GI