L'enjeu comptable de l'Europe

L’ENJEU COMPTABLE DE L'EUROPE

Extraits

ARTICLE_gabarit (lacademie.info)

MICHEL PÉBEREAU ET GÉRARD GIL 

Pour votre information, nous retrouvons dans la liste des membres d’honneur de « L’Academie » quasiment toutes les instances administratives, comptables, financières, juridiques, ministérielles, universitaires... On y retrouve même deux associations de Conseils en Gestion de Patrimoine Indépendants, et autres professionnels.

Comment ne pas imaginer les difficultés qui s’annoncent pour les professionnels alors que la prise en compte des réalités énoncées ci-dessous.

Quelques extraits

Bonne lecture

Le sentiment que la finance impose des contraintes aux entreprises a été accentué par la révolution des normes comptables. Elles fixent en effet les conditions d’établissement des bilans et des comptes de résultats, dont les évolutions mesurent les performances des entreprises. Depuis toujours, la comptabilité s’établissait selon le principe de la valeur historique (le coût historique des actifs et des passifs). Or, à partir des années 1990, les régulateurs comptables ont commencé à se référer assez systématiquement à la valeur de marché de ces actifs et de ces passifs, dans un souci de rationalisation et d’harmonisation au niveau international. Le principe de la fair market value s’est installé, légitimant aussi souvent que possible la valeur de marché (market value) comme la juste (fair) valeur comptable. Si le principe de la fair market value a un réel intérêt d’un point de vue comptable, il présente des inconvénients que la crise financière mondiale vient de confirmer. Elle pousserait en particulier les responsables des entreprises à se concentrer sur leurs résultats (pour rappel le résultat est une notion de résultat comptable qui peut varier très fortement en fonction de la formule comptable utilisée) à court terme, et à se détourner des stratégies de long terme.  Certains dirigeants sont obsédés par les variations de la cote de leur titre, devenues des indices de la qualité de leur gestion. Tous doivent s’inquiéter du jugement des spécialistes de plus en plus nombreux qui, au sein des agences de notation ou des institutions financières, analysent les performances des entreprises faisant appel aux concours des investisseurs sur les marchés. Le sentiment que la finance impose des contraintes aux entreprises a été accentué par la révolution des normes comptables. Celles- ci fixent en effet les conditions d’établissement des bilans et comptes de résultats, dont les évolutions sont les véritables indicateurs de performance des entreprises. Depuis toujours, la comptabilité s’établissait selon le principe de la valeur historique. Or, à partir des années quatre-vingt-dix les régulateurs comptables ont commencé à se référer assez systématiquement à la valeur de marché, dans un souci de rationalisation et d’harmonisation au niveau international. Le principe de la fair market value s’est installé, légitimant aussi souvent que possible la valeur de marché (market value) comme la juste (fair) valeur comptable. Les performances des entreprises sont devenues de plus en plus dépendantes des évolutions des valeurs de marché de certains de leurs actifs et de leurs passifs, sur lesquelles leurs responsables n’ont guère de prise.  Limites de la fair market value Les comptes des entreprises doivent être sincères.  C’est ce qui explique que dans chaque pays les règles comptables soient depuis longtemps de la compétence des pouvoirs publics. Elles se référaient traditionnellement au coût historique des actifs et des passifs ; elles le faisaient évoluer par divers mécanismes d’amortissement et de provisionnement, qui l’ajustaient, le corrigeaient avec le temps, pour assurer une évaluation aussi pertinente que possible, et prudente. Cette méthode n’était pas sans inconvénients. La valorisation du même actif pouvait différer significativement selon les pays, les secteurs économiques et même les circonstances.  La fair market value a alors été logiquement introduite pour valoriser les opérations de négoce portant sur des titres dont le marché assurait une réelle liquidité. Son périmètre s’est progressivement élargi à tous les produits de négoce, puis, à la fin des années quatre-vingt-dix, à tous les instruments financiers dérivés, quel que soit leur usage. Dans une période de financiarisation des marchés et de développement de l’innovation financière, elle est allée jusqu’à représenter plus de la moitié du bilan des banques actives sur les marchés, et à concerner certains éléments du bilan de nombreuses entreprises.  Pour sortir du maquis de ces législations, l’Union a décidé de se référer aux normes de l’Interna- tional Accounting Standard Board (IASB), les normes International Financial Reporting Stan- dards (IFRS). Cet organisme privé a fait de la fair market value son principe directeur : pour tout actif et pour tout passif, en particulier financier, mais pas seulement, la seule juste valeur serait la valeur instantanée de marché. Cette valeur et ses variations respectivement inscrites au bilan et au compte de résultat des entreprises devaient permettre de disposer, à chaque publication, de la valeur économique de l’entreprise et de sa performance. Les « bulles » et la crise financière  La fair market value a favorisé l’« exubérance des marchés ». Dans la période d’euphorie du début des années 2000, les institutions financières et certaines entreprises ont vu leurs résultats comptables s’améliorer du fait de la hausse des prix du marché de leurs actifs, sans avoir à céder ceux-ci, ce qui a contribué à la poursuite de la hausse de ces prix. Ces performances comptables ont provoqué une augmentation des rémunérations variables qui leur étaient liées, en particulier les bonus des opérateurs de marché. Tout cela a contribué à susciter et à entretenir des bulles financières. Le mécanisme maintenant bien connu de la bulle américaine des subprimes en est une bonne illustration. Si seul le prix de marché est une juste valeur, comment évaluer un titre qui n’a plus de marché ? Cela met en difficulté des gestionnaires d’épargne ou de titres, des banques et des compagnies d’assurance, et incite certains investisseurs à retirer leurs avoirs des fonds où ils avaient placé leurs liquidités. Ce mouvement, amplifié par le comportement mimétique des investisseurs, entraîne ces fonds, banques et assureurs à vendre les actifs nécessaires pour rembourser les déposants, sur des marchés déjà asséchés et déséquilibrés par une offre de titres excédant largement la demande. Les pertes résultant de ces cessions forcées accentuent le comportement vendeur des investisseurs, et aggravent encore le déséquilibre des marchés et l’inquiétude sur la solidité de diverses institutions financières. Une crise de confiance généralisée en résulte, avec pour point d’orgue la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers.  En dépit de ses vertus, l’utilisation exclusive de la valeur de marché comme « juste valeur » a incontestablement eu un effet procyclique. Elle a contribué dans un premier temps à favoriser l’accumulation de résultats non réalisés, nourrissant bonus et dividendes. Elle a ensuite contribué à accélérer, amplifier et élargir lacrise des marchés dont l’efficience supposée a été prise en grave défaut. Cette crise a validé les réserves qu’une utilisation trop systématique de la fair market value avait suscitées de la part de certains responsables du monde financier, notamment français, dès le début des années 2000. Elle s’est en effet produite dès la première période de retournement de cycle qui est survenue après que des instruments non liquides considérés comme de négoce ou disponibles à la vente eurent été évalués dans les états financiers des entreprises financières selon cette méthode. Il est indispensable que les préoccupations européennes soient pleinement prises en compte lors de l’élaboration et de la modification de chacune des normes. L’Europe doit pour cela se donner les moyens de parler d’une seule voix, et la capacité d’élaborer une norme spécifique si ses intérêts le rendent nécessaire. C’est là une question de souveraineté. C’est seulement en faisant en sorte que les normes établies par l’IASB soient conformes à son modèle économique et à ses intérêts que l’Union européenne se trouvera sur un pied d’égalité avec les États-Unis le jour où ceux- ci accepteront de négocier les normes universelles dont la nécessité finira bien, un jour, par s’imposer.
MICHEL PÉBEREAU et GÉRARD GIL

Document complet

ARTICLE_gabarit (lacademie.info)