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Ces fonds qui refusent du monde
Publié le 23 avr. 2004 à 1:01
Les gérants jouent à guichets fermés ! C'est une première en France, alors que la pratique est courante aux Etats-Unis ou au Luxembourg où sont immatriculées beaucoup de sicav. Didier Le Menestrel, un gérant dont les performances lui ont valu beaucoup d'honneurs, a fermé à la fin du mois de février les portes de ses deux fonds vedettes, Agressor et Agressor PEA. Les nouveaux souscripteurs seront tenus à l'écart tant que les actifs des fonds ne se dégonfleront pas. Motif invoqué : les encours sont devenus trop importants pour qu'ils puissent continuer à être gérés comme à l'origine. A son lancement, en novembre 1991, Agressor représentait alors 2,5 millions de francs d'actifs. Treize ans plus tard, il tangente le milliard d'euros, soit une progression de plus de 10.000 % !
On serait certes comblé à moins ! Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? C'est que les produits jumeaux de Didier Le Menestrel présentent la particularité de s'intéresser aux petites valeurs et aux valeurs moyennes. Or le marché des « small caps » et des « mid caps » n'est pas un marché comme les autres. Pour trois raisons. D'abord, le vivier dans lequel le gérant puise en France ses « bonnes » idées n'est pas extensible. Ensuite, les portefeuilles des fonds qui « jouent » ce type de valeurs sont très concentrés. Parfois, ils ne dépassent pas une dizaine de lignes. Enfin, leur capitalisation boursière n'est pas assez grosse pour qu'un gérant puisse y consacrer une part trop importante de son portefeuille. Les lignes, elles non plus, ne sont pas extensibles... Les commandants des paquebots gérés par les grands réseaux bancaires et qui ne s'intéressent qu'aux grosses capitalisations de l'indice CAC 40 ne rencontrent pas pareils écueils sur leurs « rails » !
Les succès commerciaux rencontrés par Didier Le Menestrel ne datent pas de la fin du mois de février 2003. Ils sont « indexés » depuis plusieurs années, notamment les quatre dernières, sur ses succès boursiers. Jacques Tord, conseiller en gestion de patrimoine à La Boétie Patrimoine, se refuse à faire la part précise des choses : « Les quelques gérants de petites valeurs et de valeurs moyennes en France qui se sont montrés très performants ces dernières années ont eu beaucoup de chance ou du génie ou les deux à la fois. Ils ont évité la bulle des valeurs technologiques. Et ils ne se sont pas intéressés aux valeurs de croissance qui ont beaucoup baissé. En revanche, ils ont investi dans les valeurs décotées (les valeurs "value") qui se sont très bien comportées. » « S'ils ont été très prudents, c'est aussi, ajoute Jacques Tord, parce qu'ils ont été servis par le fait qu'ils n'avaient pas des capitaux plus importants à investir pendant la bulle des valeurs technologiques. Sinon, ils auraient fait, eux aussi, des bêtises... »
Une spécificité à préserver
Alors, qu'est-ce qui a empêché Didier Le Menestrel de refuser des souscripteurs plus tôt ? Il avait une excellente raison : il n'avait pas le droit de le faire jusqu'à une date très récente. C'est une disposition de la toute nouvelle loi sur la sécurité financière (chère à l'ancien ministre de l'Economie et des Finances, Francis Mer, et adoptée le 17 juillet 2003) qui met les gérants de fonds communs de placement (FCP) en France sur un pied d'égalité avec leurs pairs étrangers. Eux ne se privent pas de le faire. Pour ne prendre qu'un exemple parmi les plus récents et les plus proches de nous, les deux cogérants stars de la sicav Socgen International, Jean-Marie Eveillard et Charles de Vaulx, qui gèrent à New York depuis des années avec un très grand succès la sicav, n'ont pas hésité un seul instant. Là, les gérants ont fermé les portes il y a quelques semaines (Didier Le Menestrel les a imités quelques jours plus tard). Même motif, même punition... pour les ex-futurs souscripteurs. Les termes du communiqué étaient les suivants : « En raison du grand volume d'actifs de la sicav qui empêche la diversification optimale des investissements, le conseil d'administration de la sicav, après avoir dûment pris en compte les intérêts des actionnaires existants informe les actionnaires existants, ainsi que les investisseurs potentiels qu'à compter du 23 février 2004 aucune souscription supplémentaire ne sera acceptée par la sicav. » Traduction donnée à Société Générale Asset Management (SGAM), qui commercialise la sicav immatriculée au Luxembourg : « La sicav a été fermée à la souscription à la demande du gérant pour éviter que l'afflux de capitaux ne vienne pénaliser la gestion. 1 milliard d'euros, c'est beaucoup pour ce type de gestion. » Lequel ? Socgen International est une sicav très diversifiée (de 120 à 140 « positions ») qui « est centrée sur les entreprises qui dégagent des profits substantiels au-dessus de la moyenne et dont le cours se négocie avec une décote importante par rapport à leur valeur intrinsèque ». Jean-Marie Eveillard, qui est animé par de fortes convictions, se plaisait à dire « qu'il préférait perdre la moitié de ses actionnaires plutôt que de perdre la moitié de leurs actifs ! ». Il a joint l'acte à la parole...
Pure coïncidence ? Parce que Socgen International est une sicav de droit luxembourgeois, ses gérants ont toujours été libres de changer les règles du jeu en cours de partie. En France, où l'interdit vient juste d'être levé, Didier Le Menestrel a été le premier à sauter sur l'occasion. Mais d'autres gérants qui sont dans la même situation se sont empressés de lui emboîter le pas. D'autres encore devraient bientôt en faire autant. Marc Renaud, directeur général de CCR Actions, a obtenu à la mi-mars le feu vert de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Le fonds Centrale Actions Avenir, commercialisé par CCR Actions, géré par Claire Philippon et centré sur les petites valeurs françaises (pas plus de 35 à 40 titres), fermera ses portes aux... futurs souscripteurs dès que les actifs dépasseront 250 millions d'euros. Ils s'élèvent aujourd'hui à environ 190 millions d'euros. Explication de Marc Renaud : « Nous avons voulu préserver la spécificité du fonds et sa capacité à sur-performer. »
Opportunisme des gérants
Quand les souscripteurs faisaient la queue pour souscrire et que leurs souscriptions n'étaient plus désirées, les gérants n'avaient jusqu'à présent pas d'autre solution que d'augmenter les droits d'entrée. Le procédé est couramment utilisé depuis longtemps par les « hedge funds », les fonds (très) spéculatifs qui ont souvent défrayé la chronique (le Quantum Fund de George Soros restera le plus emblématique). Certains gérants français y ont eu recours. Mais la dissuasion n'est pas dans ce cas absolue. La fermeture pure et simple du fonds, elle, ne souffre pas la discussion. Les gérants de fonds investis dans les petites valeurs et les valeurs moyennes françaises se sont engouffrés dans une brèche qui n'avait pas été ouverte pour eux. « L'occasion a fait le larron », comme le dit l'un d'eux. La disposition (c'est l'article 59, pour être très précis) avait été introduite dans la loi sur la sécurité financière à la demande des grands réseaux bancaires qui commercialisent des fonds garantis, le produit financier vedette des dernières années. Ils avaient milité pour que l'obligation pour les sicav et les fonds communs de placement d'émettre à tout moment des parts et des actions soit supprimée. Sa suppression leur a rendu la vie plus facile : « Avant, ils étaient obligés de fermer les fonds à date fixe », explique un gérant.
Que les gérants de « small » et de « mid caps » françaises aient fait preuve, là comme dans leur gestion, d'opportunisme ou pas, les souscripteurs, eux, vont devoir apprendre qu'un fonds peut être ouvert ou fermé... S'en porteront-ils mieux ou moins bien ? La réponse des intéressés est _ encore une fois _ claire, nette et précise. Les gérants qui ont décidé de refuser du monde l'ont fait dans le seul et unique but de « protéger la performance de leurs fonds ». « Nous voulons pouvoir continuer à réaliser des performances », explique Marc Renaud. Didier Le Menestrel avance le même argument dans sa « lettre d'information » envoyée à ses clients début mars. « Arrêt des souscriptions ne signifie pas que la gestion de votre fonds commun de placement va s'endormir, bien au contraire ! », leur écrivait-il. Ce qui est sûr, c'est que la décision prise par les gérants victimes de leur succès est courageuse... sur le plan commercial. Ils se privent de recettes qui ne sont pas négligeables. La gestion des actifs de leurs fonds leur rapportent _ pour donner un ordre de grandeur _ autour de 1,5 % des encours.
Des performances en berne ?
Les gérants qui refusent du monde ne risquent-ils pas d'être tentés de se consacrer davantage à la gestion des nouveaux fonds destinés à accueillir les nouveaux souscripteurs qu'à celle des anciens fonds réservés aux anciens souscripteurs ? Le réflexe économique serait... humain. C'est un avis qui est partagé par certains de leurs pairs et qui n'est pas forcément à mettre sur le compte de la seule « jalousie » commerciale. « Les performances des fonds fermés vont nécessairement s'en ressentir », affirme, pour sa part, une gérante d'actions internationales dans une grande banque. « Ils vont s'investir davantage sur leurs nouveaux produits. » La Financière de l'Echiquier qui commercialise la gamme Agressor vient de lancer un nouveau fonds, Agenor, centré sur les valeurs moyennes européennes.
Ce n'est pas la seule question soulevée par la fermeture d'un fonds. Les clients qui se sont lancés dans des plans d'investissement programmés se retrouvent privés de leur support habituel. C'est le cas pour ceux qui investissaient régulièrement tous les mois par exemple dans un fonds soudain fermé. Ils doivent alors changer leur fusil d'épaule. Autrement dit, ils doivent poursuivre leurs versements dans un autre fonds. C'est le cas aussi pour ceux qui alimentaient régulièrement un contrat d'assurance-vie multisupport. « Agressor était un fonds star pour notre clientèle, explique Christophe Autret, directeur du marketing du site de placement en ligne Symphonis. Nous avons dû gérer les versements programmés des contrats d'assurance-vie de nos clients sur ce fonds. Tous les mois et à des jours différents, nous prélevons des montants déterminés sur les comptes du client pour souscrire des parts de fonds. » Christophe Autret ne cache pas qu'il a dû réagir très vite : « Avec Agressor, nous avons été un peu pris de court. Pour certains clients, nous avons orienté temporairement les sommes vers notre fonds en euros à capital garanti. Cela nous a donné du temps pour leur proposer des fonds de remplacement comme Ulysse de Tocqueville Finance ou Centrale Actions Avenir de CCR Actions qui ont des caractéristiques de gestion proches de celles d'Agressor (même orientation d'investissement, performances et volatilité équivalentes). » Mais le directeur du marketing de la banque Symphonis ne peut pas, lui non plus, s'empêcher de poser la question : « Que vaut un gérant après avoir fermé son fonds ? »
MICHEL TURIN
Tocqueville ferme la souscription à "Ulysse", victime de son succès (boursier.com)
Tocqueville ferme la souscription à "Ulysse", victime de son succès
Par Anthony Bondain
(Boursier.com) — Le FCP Ulysse géré par Tocqueville Finance est désormais fermé à la souscription, annonce la maison de gestion, après que son encours eut atteint son seuil de fermeture de 1,1 Milliard d'Euros le 19 décembre. Récompensé à de très nombreuses reprises, Ulysse affiche une performance cumulée depuis sa création de 694,14 % et une performance annualisée de 18,6 %.
Marc Tournier, le gérant d'Ulysse, explique "La décision de fermer Ulysse a été longuement et mûrement réfléchie. Nous avons jugé qu'il était préférable de limiter sa taille pour respecter sa philosophie de gestion et protéger les intérêts de nos souscripteurs". Le spécialiste confirme, après avoir lancé récemment "IthAque", un nouveau FCP, qu'un nouveau fonds européen est à l'étude et qu'il devrait être lancé au 1er trimestre 2006.