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 Michel Santi dans "La Tribune" du 19 janvier 2015 Article intitulé : La Suisse déclare la guerre !

" La Banque nationale suisse est critiquée pour sa décision d'abandonner le cours plancher du franc suisse. Mais elle ne pouvait continuer d'accumuler des euros. Et il faut souligner l'innovation de taux d'intérêt négatifs, qui contraint le capitalisme à une inversion complète de ses valeurs
Les limites des pouvoirs d'une banque centrale? Une Banque Nationale Suisse (BNS) ayant perdu sa crédibilité? Toujours est-il que la suppression du cours plancher de 1.20 sur la parité euro/franc suisse, ayant propulsé la monnaie helvétique de 40% contre l'euro et de 15% vis-à-vis de 150 autres devises mondiales, a semé la terreur parmi les spéculateurs. Des 25 millions provisionnés chez Swissquote, aux 150 millions perdus par Deutsche Bank, en passant par Global Brokers en Nouvelle Zélande contraints de fermer boutique.
Ou encore FXCM - ayant bénéficié d'un volume record de 1.4 trillions de dollars de transaction changes au trimestre dernier - et qui a subi en fin de semaine dernière une perte de 225 millions de dollars et vu son action en bourse s'effondrer de 85%.
Autant de victimes collatérales de cette BNS ayant désormais décidé de faire chèrement payer les spéculateurs et les investisseurs - en mal de « valeurs refuges » - qui étouffaient littéralement la banque centrale. Au gré de ses interventions répétitives visant à enrayer l'appréciation de sa monnaie, n'avait-elle pas gonflé son bilan qui atteint désormais près de 85% du P.I.B. helvétique ?
Les taux négatifs, un signal fort
Cette spéculation effrénée, cette ruée irrationnelle vers sa monnaie contraignaient donc la banque centrale, du fait de ses ventes massives de francs suisses et de ses achats d'euros, à s'approprier des actifs étrangers considérés comme moins sûrs et moins fiables que ceux de son propre pays. Dans un monde coutumier des taux d'intérêt positifs, où le débiteur rémunère le créancier pour avoir mis ses liquidités à sa disposition, les taux négatifs instaurés par la BNS, susceptibles de descendre jusqu'à - 2% dans un avenir très proche, sont un signal très fort envoyé par les autorités helvétiques au reste du monde.
« Vous paierez désormais le prix de cette sécurité que l'on vous assure ». Dans ce nouveau contexte international de taux négatifs substantiels mis en place par une banque centrale pionnère, c'est le prêteur qui doit donc dorénavant payer l'emprunteur pour bien vouloir lui conserver ses avoirs. Il est temps que la Suisse se fasse enfin rémunérer pour offrir un îlot de quiétude et de stabilité dans un monde dangereux, tant financièrement que politiquement. Et elle ne s'arrêtera pas là!
Une ruée sur les billets...
Comme je l'ai souvent dit et écrit, seule la disparition des espèces autorise les taux négatifs instaurés par une banque centrale de dérouler leurs effets optimaux. En présence de taux d'intérêt négatifs - c'est-à-dire d'une taxe prélevée sur les comptes bancaires - nul n'empêche en effet les investisseurs et spéculateurs, voire le citoyen de base, de se reporter sur les billets de banque ou « monnaie fiduciaire » payant un intérêt de 0%. A moins que la banque centrale ne fasse disparaître le cash ou, prochaine mesure qu'adoptera immanquablement la BNS, qu'elle ne taxe les espèces en circulation. Dans un contexte où la masse des billets de 1000 francs suisses a doublé en 10 ans et où elle représente - pour des motifs évidents - un tiers des 60 milliards d'espèces helvétiques en circulation, il va de soi que cette ruée vers les billets de banques libellés en francs suisses - taxés à 0% - ira en s'amplifiant en présence de taux négatifs sur la « monnaie scripturale », autrement dit sur les comptes bancaires.
...qui va entraîner leur taxation
Voilà pourquoi la prochaine décision spectaculaire et révolutionnaire de la BNS sera de prélever une dîme sur les billets déposés auprès d'elle par le système bancaire, qui répercutera cette taxe sur les clients désireux de retirer des francs suisses au guichet ou au distributeur. Ce n'est en effet qu'à cette condition - que la banque centrale baisse l'ensemble de ses taux d'intérêt- que cette politique monétaire des taux négatifs sera pleinement efficiente. L'abandon du « peg » - c'est-à-dire du plancher des 1.20 sur l'euro/suisse - n'est donc que la première salve émise par la BNS dont le levier principal ne consistera désormais plus en des interventions sur le marché des changes. De même, les taux négatifs de -0.75% sur les dépôts bancaires ne représenteront-ils qu'une étape supplémentaire. Car elle fera prochainement usage de l'arme de destruction massive par excellence : celle de taux d'intérêt négatifs généraux qui lui permettront d'avoir un impact dévastateur à l'encontre de la spéculation et de la flambée de sa monnaie.
La Banque Nationale Suisse mène la charge
Ce n'est qu'à ce prix que l'économie suisse bénéficiera des stimuli dont elle a désespérément besoin, car il devenait urgent pour elle d'une part de cesser d'amasser des euros dans un contexte de grandes incertitudes sur l'avenir de l'Union européenne et de subir d'autre part une ruée vers sa monnaie du fait des boulerversements géopolotiques à l'Est de l'Europe. La Banque Nationale Suisse mène donc la charge et, dans un monde en pleine déflation, lui apprend comment conduire une politique de taux négatifs.
Contraindre le capitalisme à s'adapter à une inversion totale des valeurs
Ce faisant, elle contraint le capitalisme à s'adapter à une inversion totale des valeurs et des critères car c'est désormais l'emprunteur qui impose ses règles. Ne sous estimez donc pas la BNS, et réfléchissez à deux fois avant d'affirmer qu'elle a perdu sa crédibilité, car la Suisse vient en ce 15 janvier 2015 de se départir de sa neutralité séculaire et de déclarer la guerre.
Michel Santi est directeur financier et directeur des marchés financiers chez Cristal Capital S.A. à Genève. Il a conseillé plusieurs banques centrales, après avoir été trader sur les marchés financiers. Il est l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique".

  Jérôme Gygax dans "Bilan" Suisse du 14 janvier 2015 Article intitulé : Faut-il craindre l’effondrement du système bancaire mondial?
  
" Depuis la crise des subprimes en 2008 et le renflouement des larges banques par la Réserve fédérale (FED), rien ne permet d’affirmer que la situation économique mondiale a été assainie. Tout au contraire, un ensemble d’indicateurs laissent penser que le monde bancaire est au bord de l’abîme, « the edge of chaos» selon l’expression du spécialiste des systèmes Christopher Langton[1].
Certains se veulent rassurants, cependant que la chute des cours du brut fait craindre un choc pétrolier à l’envers qui mettrait en faillite une section importante du secteur énergétique, celle du « fracking » ainsi que les états américains dépendant de ses revenus[2]. D’autres, Steve Forbes et Elizabeth Ames en tête, mettent en garde contre l’effondrement du système économique mondial et suggèrent un retour au Gold Standard[3]. Y a-t-il des raisons de faire confiance aux uns plutôt qu’aux autres ? La bourse américaine n’a-t-elle pas connu une embellie en cette fin 2014 ?[4] Ceux qui crient au loup, comme Steve Forbes et les autres libertaires, ne sont-ils pas les acteurs d’un capitalisme géré par des trusts, pour le compte de corporations et multinationales dont ils sont les actionnaires ?
Au milieu du 14ème siècle, la République de Sienne avait sombré après que ses magistrats eussent renfloués leurs banques, précipitant la fin de l’expérience démocratique italienne. Au printemps 1933, ce sont les Etats européens, et non les banques, qui ont essuyé des pertes astronomiques causées par son élite financière. Par la suite, cette élite financière avait obtenu, par l’entremise des milieux politiques concernés, l’échec du Glass-Steagall Act (1933), limitant les possibilités de régulation[5]. Or, si les leçons des crises cycliques passées paraissent ne pas avoir été tirées[6], la perte de confiance en ce système pourrait avoir aujourd’hui des conséquences bien plus dramatiques[7]. Les Etats surendettés seront-ils encore les boucs-émissaires de la prochaine faillite financière ? Nul ne s’accorde sur les raisons et les moyens pour pallier à ces maux structurels chroniques.
En écho à 1933, aucun pilote ni aucune instance n’est aujourd’hui capable de conduire à l’adoption de régulations crédibles afin de juguler les « fonds spéculatifs » et le « financial engineering ». La promesse de voir les banques scinder leurs activités commerciales et d’investissement reste un mirage. Après avoir augmenté leur ligne de crédit de manière démesurée, les grandes banques ont accepté le rôle de prêteur de dernier ressort de la FED et ce, non seulement aux Etats-Unis, mais ailleurs dans le monde, y compris en Suisse[8].
Tout en accroissant la masse monétaire de façon disproportionnée, réduisant de cette façon le coût de leur dette abyssale, le trésor américain a renoncé à assainir un système fondé sur des vides et les lacunes juridiques (loopholes) qui favorisent l’évasion fiscale organisée[9]. Le contrepouvoir au cénacle politico-financier n’a pas vu le jour et la concentration du capital n’a jamais été si prononcée: après s’être repus des dépouilles de leurs concurrents, JP Morgan et Goldman Sachs, ainsi que leurs trois concurrents directs, gèrent aujourd’hui près de la moitié des actifs aux Etats-Unis, accumulant profits et bénéfices.
Les capitaux investis pour renflouer les banques depuis six ans n’ont pas permis la croissance de l’économie réelle, traduit par l’élévation de la production industrielle. Au contraire, cette masse monétaire a été détournée au profit d’actifs à fort rendement et haute volatilité, ainsi que vers les bluechips des entreprises dot.com de la Sillicon Valley qui génèrent des marges bénéficiaires grâce à des salariés qualifiés mais peu nombreux[10].
Ainsi l’indice de concentration de la capitalisation boursière indique que les cent premières sociétés boursières représentent plus de 60% du capital total sous gestion ; un autre indicateur est celui de la capitalisation différentielle qui est le ratio de la capitalisation boursière moyenne par société. Celui-ci révèle une tendance aussi marquée à la concentration des capitaux[11]. Avec deux effets : le premier concerne la baisse du taux de renouvellement, qui affecte la mise à disposition des capitaux là où ils sont requis et accroît l’écart entre le taux de productivité et les salaires réels[12]. Cette concentration accroît ainsi l’inégalité entre les plus hauts et plus bas revenus[13].
Un second facteur, conséquence de la désindustrialisation, est la décapitalisation de l’Occident. Les Etats-Unis n’ont de cesse de clamer une croissance supérieure à l’Europe et des résultats de chômage au-dessous de la barre des 6%. Selon de nombreux observateurs, ces chiffres ne reflètent en rien la situation réelle, ces statistiques sont biaisées et ne disent pas les conditions fragiles des fondamentaux de son économie. Ce que Phil Grant appelle « Deceptive Statistics »[14]. Outre l’absence quasi complète d’investissement dans les infrastructures, les Etats-Unis ont précarisé un large segment de ses travailleurs, de plus en plus désyndicalisés[15]. Une part importante de la classe moyenne s’est vue ainsi lentement paupérisée, incapable de payer loyer, crédits et emprunts. La dette des étudiants est estimée à $1 trillion de dollars, l’équivalent de ce que le Congrès vient de voter en rallonge budgétaire afin de permettre au gouvernement de fonctionner jusqu’à la fin du printemps 2015[16].
Le mythe d’une « ré-industrialisation » des Etats-Unis est entretenu, le temps de faire oublier la faillite des états et des villes manufacturières américaines qui, à bout de souffle, ne parviennent plus à payer leurs fonctionnaires[17].  
Le dernier rapport de l’Organisation mondiale du travail (OIT/ILO) confirme que la progression des salaires est en cours dans les pays émergents du G20, et non dans la zone euro-atlantique, conditions d’une récession durable[18]. Selon l’économiste Richard Wolff, ceci s’accompagne d’une fuite inévitable du capital hors des pays industrialisés bientôt criblés de déserts industriels comme Détroit ou Baltimore à l’horizon 2020[19]. L’écart de la balance des comptes courants entre la Chine et les Etats-Unis avoisinera les $1600 milliards en 2015, un écart qui n’était « que » de $600 milliards en 2009[20]. Ces chiffres indiquent sans équivoque où sont les capitaux et qui détient la puissance d’investissement.
Troisième facteur : l’inflation du capital à perte. La crise bancaire de 1932-1933 avait été précédée, tout comme elle l’a été entre 2009-2014, d’un recours artificiel à l’inflation par la Fed créant les conditions d’une bulle spéculative[21]. C’est vers le rôle de la Réserve fédérale U.S. qu’il faut se tourner pour comprendre comment, depuis septembre 2012, celle-ci a été autorisée à augmenter de près de 250% l’impression de dollars en pratiquant le « quantitative easing ». Or, la fin de cette opération, conjuguée à l’abandon de rachat d’actifs, présente le risque d’un tarissement, voire d’une mauvaise répartition des liquidités[22].
La stagnation conjointe de la production industrielle laisse planer le spectre d’une paralysie industrielle générale accompagnée d’un effondrement des prix, qui s’accompagnerait de licenciements massifs. Officiellement l’inflation est en recul mais les indicateurs ne tiennent compte ni des prix des denrées alimentaires, ni de l’énergie. Sans compter que l’indice IPC des prix associés aux dépenses de consommation ne tient lui-même pas compte de l’inflation dans les services et du logement. Bien que différent sur les deux rives de l’Atlantique, le niveau d’endettement peut-il être relevé éternellement ? Personne ne semble reconnaître qu’un nombre de plus en plus important d’Américains ne parvient plus à rembourser ses dettes. On estime qu’entre 2013 et 2017 ce sont $ 4 trillions de dettes supplémentaires qui devraient pourtant venir s’ajouter à celles existantes[23].
La baisse du prix du pétrole a pu agir temporairement sur la croissance de la consommation et le S&P 500, mais ce sursis pourrait n’être que très passager[24]. En Europe, encore plus qu’aux Etats-Unis, les carnets de commande sont aujourd’hui très en-dessous des attentes et rien ne garanti une relance de la croissance à moyen terme[25].  Les récentes crises et embargos contre la Russie auront des conséquences incalculables, et viennent perturber un peu plus le cours normal des échanges commerciaux.
Enfin, le service de la dette des principales puissances industrielles en plus d’affecter la balance des paiements, réduit d’autant le levier fiscal. Les Etats-Unis, avec un montant de $25 milliards mensuels versés pour les intérêts de sa dette et avec des taux d’intérêt au plancher, ont perdu toute marge de manoeuvre[26]. Les membres de l’Euro groupe sont, quant à eux, enlisés dans leurs politiques budgétaires divergentes et n’ont trouvé aucun compromis viable. Les prêts assurés à la Grèce par l’UE seront probablement insuffisants à relever l’économie grecque. L’Italie, l’Espagne et bientôt l’ensemble de la zone euro qui prendrait le même chemin donneraient le coup de grâce de la monnaie unique[27].
Deux incertitudes de tailles: l’instabilité engendrée par le bras-de-fer économique avec Moscou qui a conduit à une ruée sur les bonds du trésor américains évoque une guerre économique à demi-déclarée[28]. Les obligations du secteur énergétique, qui comptent pour 16% du marché américain, sont susceptibles d’essuyer les contrecoups d’une baisse prolongée des cours du pétrole. Le dilemme est posé : soit le cours monte et il tue la croissance, soit il baisse et il créé une vague de faillites pour les entreprises engagées dans l’exploration des gisements de gaz de schiste[29]. Ce dernier scénario équivaudrait à un « choc pétrolier à l’envers »[30].  Quelle que soit la direction prise, le résultat serait sensiblement le même.
Si les origines des maux présents plongent dans les cycles de crises antérieures, dont la plus retentissante fut celle qui conduisit le monde financier et le système capitaliste au bord de l’abîme en 1933, on peut légitimement questionner les interprétations données par ceux-là même qui, comme Warren Buffett ou Steve Forbes, attribuent tous ces troubles à une intervention jugée illégitime des Etats dans l’économie[31]. Sur le long terme les raisons de la « rupture» sont à rechercher dans la faillite du dogmatisme économique. Non seulement les leçons de la dernière crise de 2008 n’ont pas été tirées, mais les théories libre-échangistes qui en sont la cause n’ont pas été révisées, les apôtres du laissez-faire étant encore révérés en tous lieux: Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, Ayn Rand, Alan Greenspan pour ne citer que les plus connus parmi ces « Libertaires » pour qui l’intervention humaine doit être exclue des marchés auto-régulés[32].
Une telle idéologie qui néglige les composantes sociale et humaine du marché, apparaît aujourd’hui, au travers des péripéties anciennes et plus récentes, aussi aberrante qu’erronée[33]. Les « mythes » entretenus par la même oligarchie financière, qui nourrit la peur d’une « destruction du dollars » participent à une mauvaise compréhension des maux actuels[34]. C’est bien d’avantage les agissements de ces mêmes oligarques, et la perte de confiance dans un système corrompu qui en serait la cause.  Le Prof. John K. Galbraith avait très tôt su expliquer combien le dogme libéral servait d’alibi à une société « qui abhorre l’existence du pouvoir, conteste sa possession mais honore ceux qui en usent. »[35]
Quant à ceux qui s’intéressent aux raisons profondes de la faillite actuelle, notamment celle de la théorie de la croissance illimitée, comme Kerryn Higgs, ils ont de la peine à se faire entendre[36]. On fera bien de relire les thèses de Domenico Losurdo et de s’interroger sur le mode de gestion du capital afin de comprendre comment il est devenu un test pour nos valeurs démocratiques et le fonctionnement du circus politique[37]. Le constat des Prof. Martin Gilens et Benjamin I. Pages est sans appel : les Etats-Unis ne sont plus selon eux une démocratie mais une oligarchie[38].
Aujourd’hui, une bonne partie des canaux de la finance passent par un réseau de trusts qui constituent une véritable économie parallèle. Les fuites de capitaux vers ces fonds privés non régulés pourraient être le défi du capitalisme en tant que système économique et politique au 21ème siècle. Aucune velléité de réforme de la fiscalité n’a été articulée par les autorités politiques des grandes démocraties, révélant le rôle joué par une oligarchie financière puissante et capable de défendre ses prérogatives et privilèges, fermant les yeux sur les conséquences induites : inégalités et violences sociales[39]. Comme le rappelle Nomi Prins : « By 2013, the major global banks were sitting on nearly $3.3 trillion of excess reserves, refusing to share their governement aid with the citizens of the world. »[40]
Depuis l’échec du Glass-Steagall Act de 1933, les milieux financiers ont réussi à sursoir la mise en application de lois de régulations et de supervisions au nom de la liberté du marché[41]. En décembre 2014, c’est le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act 2010 qui a été sacrifié par le Congrès[42]. Faut-il s’étonner dans ce contexte d’apprendre que l’agence de notation Standard&Poor’s (S&P) soit placée sous le coup d’une enquête pour fraude par l’U.S. Securities and Exchange Commission (SEC)[43]. Ces mêmes agences de notation avaient fermé les yeux en pleine débâcle des subprimes, en attribuant des notes favorables d’achat (AAA) à des actifs toxiques, guidant des milliers d’actionnaires à leur perte[44]. Ce sont elles encore qui viennent de dégrader la note de l’Union européenne,  répondant autant à des impératifs politiques qu’économiques.
Un délai de treize années s’était écoulé entre les premiers signes et le cataclysme bancaire de 1933. Les carences structurelles n’ont jamais été traitées après que ce traumatisme eut été effacé de la mémoire collective. Ce sont pourtant les mêmes symptômes que l’on connaît aujourd’hui et à une échelle bien plus vaste. On aimerait donner tort à Robert A. Wiedemer, Martin Armstrong et autres cassandres qui annoncent un effondrement imminent du système financier[45]. Sans parler de ceux qui y voient l’avènement d’une nouvelle ère économique dominée par le Bitcoin[46]. Les optimistes, comme Robert Madsen du MIT ont beau continuer à prétendre que l’arsenal fiscal et monétaire à disposition suffira pour éviter à l’économie mondiale le sort du Japon qui, rappelons-le, était entré dans une décennie de récession dans les années 1990[47].
Pour l’heure il semble que se soient la conduite d’une poignée de milliardaires qui nous achemine au bord de l’abîme, eux qui s’empressent de quitter les premiers un édifice qu’ils ont contribué à mettre en flammes[48]. Cependant qu’un relèvement trop précoce des taux par la Fed en 2015 entrainerait un différentiel de taux préjudiciable aux efforts de relance européen et laisserait planer la possibilité d’un Krach obligataire[49].
Le spectre qui guette à l’horizon tient donc autant à des facteurs structurels anciens qu’à la fébrilité des marchés et à leur vulnérabilité face à un choc extérieur qui viendrait faire s’écrouler ce château de cartes[50]. Ainsi, une personne sautant d’un immeuble de dix étages peut croire qu’elle vole pendant neuf étages au moins (à condition bien sûr de ne pas regarder vers le sol), mais l’impact surviendra tôt ou tard. Le « conundrum » financier, avec ses coûts sociaux et humains exorbitants, a fini par nous rattraper alors qu’apparaissent de plus en plus distinctement les raisons de cette faillite, basée sur les intérêts et l’hubris d’une oligarchie et de son appareil idéologique forgeant ses propres instruments censés dire « sa vérité » : les statistiques, algorithmes et autres modèles mathématiques tenus pour infaillibles, à travers le monde du marché globalisé.
Mais l’humain ne répond à aucune de ces règles mathématiques. Isaac Newton avait pour habitude de dire qu’il savait calculer le mouvement des corps pesants mais ne pouvait prédire la folie des foules. Un ou deux tricheurs passeront inaperçus dans un groupe ; doublez ou triplez ce nombre et l’ensemble court à sa perte. Le rapport des forces économico-politique a eu raison de ceux qui souhaitaient rétablir des pratiques éthiques par la réintroduction d’une supervision d’experts indépendants[51].
Dans leur conclusion de 1933, M. Nadler et J. Bogen écrivaient : « The able, conservative banker represents one of the most valuable citizens any community can possess. Perhaps when public opinion honors him more for his ability and his conservatism rather than for his accumulation of and control over wealth, our banking leaders will show a more aggressive desire to contribute their time and efforts to general banking reform and effective central banking management, as well as to the safe conduct of their own individual institutions. »[52]. L’alternative pourrait être ce Big Bang financier que certains appellent de leurs vœux, marquant la fin du système actuel, son remplacement par une monnaie numérique, ouvrant une ère dans laquelle la « confiance » n’aurait plus court au sein de transactions boursières, gérées par des ordinateurs et sans intermédiaire, ni banquier[53]. La victoire finale du marché désincarné sur l’homme faillible et corruptible, une forme de totalitarisme technocratique.
 
[1] Cité par John Mauldin, « Central Banks, Complexity, and Economic Collapse » on http://www.forbes.com/sites/johnmauldin/2014/11/25/on-the-verge-of-chaos/
[2] En Louisiane, Texas, Dakota du Nord, Wyoming, Oklahoma. Voir Manny Fernandez et Jeremy Alford, « Some States See Budgets at Risk as Oil Price Falls » in New York Times, 26 décembre 2014, http://www.nytimes.com/2014/12/27/us/falling-oil-prices-have-ripple-effect-in-texas-louisiana-oklahoma.html?_r=0
[3] Steve Forbes, Forbes magazine, milliardaire et membre d’une vingtaine de conseils d’administration (CATO, Heritage,…), auteur avec Elizabeth Ames de : Money, how the destruction of the Dollar threatens the global economy, and what we can do about it, http://www.forbes.com/books/money-by-steve-forbes/
[4] http://www.nasdaq.com/article/closing-update-dow-ends-shortened-session-at-new-record-but-late-selling-drags-sp-500-to-small-loss-cm426809
[5] On relira Marcus Nadler et Jules I. Bogen, The Banking crisis, the end of an Epoch, New York, Dodd, Mead&Co, 1933.  L’abrogation du « Banking act » surviendra définitivement en 1999.
[6] Lire Steve Keen, « Hindsight on the origins of the global financial crisis ? » in Steve Kates, The Global Financial Crisis, What have we learnt ?, Edward Elgar, Northampton, Mass., 2011.
[7] Scénario du « Big Bang » de Bryan Kelly, véritable coup d’état financier avec le remplacement du dollar par le bitcoin. http://www.briankellycapital.com/bitcoin-big-bang/ 
[8] Leo Panitch and Sam Gindin, The Making of Global Capitalism, the political economy of American Empire, New York, Verso, 2013, p.323.
[9] Lester Henry, One Huge « Minsky Moment : lessons from the financial crisis » in Social and Economic Studies, Vol. 58, No.2, June 2009, pp.77-89
[10] Steve Keen, « Hindsight on the origins of the global financial crisis ? » in op. cit. pp.111-125. Il faut en outre tenir compte des « fonds spéculatifs » et autres « private equity » sociétés de capital d’investissement non-cotées en bourse et qui concentrent une part de plus en plus importante de capitaux et qui échappent encore largement aux réglementations fiscales des Etats.
[11] Voir l’analyse proposée par Jonathan Nitzan et Shimshon Bichler, Le capital comme pouvoir, une étude de l’ordre et du créordre, Paris, Max Milo, 2012.
[12] Selon Prakash Diwan, Head, institutional sales and strategy, Networth Stock Broking.
[13] Voir le rapport du Pew Research Center : « America’s wealth gap between middle-income and upper-income families is widest on record » 17 décembre 2014, http://www.pewresearch.org/fact-tank/2014/12/17/wealth-gap-upper-middle-income/
[14] Phil Grant, « Deceptive Statistics » in The Ellsworth American, 14 novembre 2014. http://www.ellsworthamerican.com/opinions/commentary/deceptive-statistics/
[15] Entre 1966 et 2011, le taux de syndicalisation est passé de 30% à 12%, un déclin unique au sein du groupe des pays les plus industrialisés.
[16] Selon le sociologue David Fasenfest, « The legacy of debt » sur http://crs.sagepub.com/content/40/5/651.full.pdf
[17] Après Détroit, ce sont les principaux état du centre et la Californie qui doivent recourir à la loi sur les faillites. Avec l’effondrement du cour du pétrole les effets se feront sentir sur une dizaine d’autres états, voir note supra no 2.
[18] ILO, « Global Wage Report 2014/2015 » on http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_324645/lang--en/index.htm
[19] http://www.rdwolff.com/content/richard-wolff-real-news-network-employment-upswing-not-here-stay
[20] Sources IMF, tiré de « Global Shift, how the west should respond to the rise of China », Transatlantic Academy, 2011.
[21] Marcus Nadler and Jules I. Bogen, op. cit., p.7
[22] En période d’instabilité, le marché obligataire est considéré comme un refuge, mais ce dernier ne présente pas une forte « liquidité ».
[23] Dimitri Papadimitriou, « The coming tsunami of debt and financial crisis in America », http://www.theguardian.com/money/2014/jun/15/us-economy-bubble-debt-financial-crisis-corporations
[24] La chute du pétrole de $107 à $54, avec 80ct de baisse du prix au gallon représente $100 milliards d’économies pour les ménages. Sachant que cette consommation représente 70% du PIB, cela représente /agit ? encore mieux que le quantitative easing en matière de relance.
[25] L’indice des directeurs d’achat (PMI) après un rebond en octobre ne semble pas répondre aux attentes, se stabilisant un peu au-dessus de 50 qui est la barre de la récession.
[26] La dette représente 110% du PIB. Ce chiffre a doublé ces quatre dernières années. Pour le détail de décembre 2014 voir : http://www.federalreserve.gov/releases/z1/current/coded/coded.pdf
[27] Dès janvier 2015, c’est la banque central européenne qui semble-t-il devra se lancer dans une opération de quantitative easing en achetant des bonds du trésor afin de fournir des liquidités et éviter une déflation catastrophique. http://www.theguardian.com/business/2014/dec/12/eurozone-deflation-looms-quantitative-easing-is-the-answer
[28] La Russie vend aujourd’hui ses dollars pour de l’or, portant ses réserves vers des sommets historiques. Cet or est utilisé pour assurer les transactions avec la Chine et les pays du BRICS, ce qui laisse cour aux prévisions les plus folles, y compris celui d’un « goldtrap » piège dans lequel serait tombé l’Occident qui voit ses réserves fondre. Voir Dimitri Kalinichenko, « Grandmaster Putin’s Golden Trap », Gold-Eagle, 23 novembre 2014, http://www.gold-eagle.com/article/grandmaster-putins-golden-trap
[29] L’annonce du renoncement au forage par fraction hydraulique par le gouverneur de l’Etat de New York donne un indice quand à la faible durée du rêve de l’indépendance énergétique américaine. D’ici peu on peut s’attendre à une prise de conscience des risques environnementaux induits par cette technique.
[30] « De la chute du pétrole pourrait jaillir le prochain krach, selon certains opérateurs » in Les Echos, 15.12.2014 sur http://bourse.lesechos.fr/infos-conseils-boursiers/actus-des-marches/analyses-opinions/de-la-chute-du-petrole-pourrait-jaillir-le-prochain-krach-selon-certains-operateurs-1020118.php
[31] On relira Marcus Nadler and Jules I. Bogen, The Banking crisis, the end of an Epoch, New York, Dodd, Mead&Company, 1933. Voir les prédictions de Buffet sur: http://theeconomiccollapseblog.com/archives/tag/warren-buffett
[32] Pour une analyse historique de ces mouvements : Brian Doherty, Radicals for Capitalism, New York, Public Affairs, 2007.
[33] C’est précisément la réflexion de Samuel Michael Natale et Sebastian A. Sora, « Ethics in Strategic Thinking : Business Processes and the Global Market Collapse » in Journal of Business Ethics, Vol. 94, No.3, July 2010, pp.309-316
[34] Steve Forbes et Elizabeth Ames de : Money, how the destruction of the Dollar threatens the global economy, and what we can do about it, http://www.forbes.com/books/money-by-steve-forbes/ ; interview par Caleb O. Brown, CATO institute https://www.youtube.com/watch?v=Pw8zB7QzvT4  ; conférence à la Heritage Foundation (ajoutée le 11 décembre 2014) : https://www.youtube.com/watch?v=1Oh6PTQ8occ .
[35] Son ouvrage : American capitalism. The Concept of Countervailing Power, 1952
[36] Kerryn Higgs, Collision Course, Endless Growth on a Finite Planet, Boston, MIT Press, 2014.
[37] Domenico Losurdo, Liberalism : A counter-History, London, Verso, 2011 ; Dmitry Orlov, Reinventing Collapse The Soviet Experience and American Prospects, Gabriola Island, New Society Publishers, annonce que les Etats-Unis souffre des même maux que ceux qui mena l’URSS à sa chute.
[38] Martin Gilens and Benjamin I. Page, « Testing theories of American Politics : Elite, INterest Groups, and Average Citizens » in Perspectives on Politics, Vol. 12, Issue 3, Septembre 2014, pp.564-581.
[39] L’économiste de Princeton, David Bradford avait été l’un des partisans de cette réforme, malheureusement décédé en 2005 dans l’incendie de sa maison ; on regardera le récent ouvrage de Jean-Michel Naulot, Crise financière, pourquoi les gouvernements ne font rien, Paris, Seuil, 2013 qui parle de démythifier le monde de la finance.
[40] Nomi Prins, All the President’s bankers, the hidden alliances that drive american power, New York, Nation Books, 2014, p. 419
[41] Comme le soulignaient pourtant Marcus Nadler et Jules I. Bogen en 1933, le Glass Act « should constitute only the first step. It will not eradicate those basic structural weaknesses which explained in large measure the feebleness of the American banking system in meeting depression conditions. » in op. cit. p.189.
[42] http://www.usnews.com/news/articles/2014/12/10/budget-deal-may-not-be-an-early-xmas-present-for-wall-street
[43] https://ringoffireradio.com/2014/12/sp-caught-skewing-mortgage-ratings/ ; les cas de fraudes sur le marché des Securities a connu une recrudescence dans le dernier trimestre 2014.
[44] Paul Krugman, « Debt and chutzpah » in The Global Edition of the New York Times, 9 août 2011, p.7
[45] Robert A. Wiedemer, Aftershock : Protect Yourself and Profit in the Next Global Financial Meltdown, John Wiley&Sons, Hoboken N.J., 2014 ; Selwyn Duke, « Prediction : Economic Collapse, Civil Unrest in America by 2016 » in New American, 07.11.2014, http://www.thenewamerican.com/economy/commentary/item/19480-prediction-economic-collapse-civil-unrest-in-america-by-2016
[46] C’est le scénario de Brian Kelly, dont il était question dans l’introduction. Le Bitcoin a été reconnu par le U.S. Internal Revenue Service (IRS) cette année ; cette crypto-devise est sensée remplacer le banquier par un ordinateur.
[47] Robert Madsen, « Comparing Crises : Is the current Economic Collapse Like Japan’s in the 1990s ? » in Foreign Affairs, Vol. 88, No.3, May-June 2009, pp.159-166.
[48] « Billionaires Dumping Stocks, Economist knows why, Newsmax wires, on Moneynews, 27 décembre 2014.
[49] Les analystes s’accordent depuis une année au moins pour dire que cette relevée des taux est le seul moyen de donner lieu à une réelle reprise, cependant qu’il fait courir des risques majeurs de Krach obligataire, Voir en outre : http://criseusa.blog.lemonde.fr/2013/10/12/lendettement-national-des-usa-un-constat-dinsolvabilite-generale/ et Myret Zaki, « Face au risque de krach obligataire, le déni », Bilan, 4 février 2013.
[50] Personne n’a encore pu donner une explication quant à l’achat massif par la Belgique de Bons du trésor américain sur le premier trimestre 2014 qui fait de ce petit pays le troisième détenteur de la dette U.S.
[51] Voir les propositions du prix Nobel Joseph Stilgitz, « Henry Paulson’s Shell Game » in The Nation, 26 septembre 2008. http://www.thenation.com/article/henry-paulsons-shell-game
[52] in op. cit. p.188-189
[53] « Bitcoin set to take over the financial world : Book », CNBC, 01.12.2014, Revue du livre de Brian Kelly, note supra 47, http://www.cnbc.com/id/102227296#.
 Docteur en relations internationales de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID, Genève), Jérôme Gygax est historien, chercheur associé à la fondation Pierre du Bois pour l’histoire du temps présent. Ses travaux portent sur l’histoire des idées, les nouvelles formes de diplomatie, l’utilisation des médias dans la naissance du soft power. Il s’intéresse aux relations entre le secteur public et privé, au rôle des réseaux et leur impact dans la politique internationale.