PIB

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 Jean-Daniel Delley dans "Domaine Public" Suisse du 15 juin 2015 Article intitulé : Le PIB: ce qu’il révèle et ce qu’il cache. Un recul de 0,2%, et alors ?

" Le produit intérieur brut (PIB) helvétique a reculé de 0,2% au premier trimestre de 2015. Mais ce n’est pas tant ce chiffre que la fascination qu’exerce cet indicateur qui devrait inquiéter. Le PIB est tenu pour la mesure suprême de la réussite d’un pays dans la grande compétition économique, alors même que son contenu informatif reste très limité.
D’emblée le Secrétariat à l’économie (Seco) rassure: ce léger repli ne concerne que l’évolution économique par rapport au dernier trimestre de l’an dernier. Si l’on considère la dernière période de douze mois, la croissance atteint 1,1%. Ouf, nous avons eu chaud.
Car la croissance mesurée par l’augmentation du PIB est devenue la bouée de sauvetage des sociétés contemporaines. D’elle on attend tout à la fois la réduction du taux de chômage et de la pauvreté, l’équilibre financier des assurances sociales et l’allègement de la dette publique. Et même le salut de l’environnement, pour autant que la croissance devienne verte ou immatérielle.
Que cache ce sigle révéré? La valeur des biens et services produits dans le pays, mesurée à leur prix. Entre donc dans le PIB tout ce qui a un prix exprimé monétairement. A contrario en est exclu ce qui est gratuit, ce qui n’a pas de valeur d’échange en monnaie: les activités bénévoles, le travail domestique, les ressources naturelles qui n’ont pas de prix sur le marché, comme l’air par exemple.
Tout limité qu’il est, le PIB reste un indicateur utile. Il introduit une certaine transparence dans l’économie en révélant l’apport des différents secteurs à la richesse nationale et sa répartition entre ménages et entreprises.
Par contre le PIB ne dit rien sur la qualité de ce qui est produit et à qui profite cette richesse. Un accident de la circulation peut provoquer deuil, douleurs et invalidité. Le PIB ne s’intéresse qu’aux services de secours, aux soins médicaux et au travail des carrossiers et le cas échéant aux pompes funèbres, toutes activités qui ont un coût et qui donc le font croître.
Le PIB est aveugle aux conditions de travail qui président à la création de richesse. Mauvaises, elles vont certes pénaliser les travailleurs dans leur santé et leur capacité productive, mais gonfler le PIB grâce aux coûts induits par ces conditions insatisfaisantes.
Le PIB ne traduit en aucune manière la pression de l’activité économique sur l’environnement. Pire, si les dégâts impliquent des actions de réparation, ces dernières contribuent à la croissance du PIB.
Il serait intéressant de connaître la part de la croissance consacrée à payer ces dégâts.
Un PIB qui n’est guère sensible non plus à l’horizon temporel: la croissance inconsidérée du secteur bancaire a contribué à doper l’indicateur – satisfaction générale –, jusqu’à la crise qui a mis à genoux l’économie mondiale – atterrement général. Quand le PIB se révèle être un mirage!
Le PIB, à tout le moins à partir d’un certain niveau, n’indique en rien la qualité de vie d’une société. Ainsi la richesse produite n’est pas corrélée avec l’espérance de vie, aussi élevée au Chili et au Costa Rica qu’aux Etats-Unis pourtant quatre fois plus riches. Le constat vaut pour la plupart des variables de développement humain: santé, inégalités, violence, éducation. On peut même soupçonner que le taux de croissance – l’augmentation de la plus-value – sert en partie ou en totalité à couvrir les coûts des atteintes à la santé et à l’environnement, notamment, provoquées par cette même croissance.
Le serpent PIB se mord la queue.
C’est pourquoi d’autres indicateurs ont été développés pour pallier l’information biaisée et insuffisante fournie par le PIB. De l’indicateur du développement humain du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) à celui des richesses humaines et naturelles de la Banque mondiale en passant par le Bonheur national brut, les tentatives n’ont pas manqué d’élargir notre compréhension de la richesse des nations. Mais elles butent sur la double difficulté de définir des critères universels et de récolter les données pertinentes. L’Office fédéral de la statistique a également développé un système d’indicateurs du développement durable.
Mais parce qu’il est simple et simpliste, le PIB reste la référence de base des autorités comme des acteurs économiques. A gauche comme à droite de l’échiquier politique, on ne pense qu’en termes de croissance, cet horizon quasiment eschatologique qui pourtant ne nous promet pas des lendemains qui chantent. Et les dispositions constitutionnelles telles que les articles 2, alinéa 3, et 73 – conservation durable des ressources naturelles et développement durable – ne restent que des vœux pieux reportés aux calendes grecques."

Dans "Le Figaro" du 7 janvier 2015 Article intitulé : Comment calcule-t-on le Produit intérieur brut?
  
"C'est l'un des acronymes les plus utilisés de l'information économique. Tout le monde en comprend le sens: le PIB est, par définition, la richesse créée au cours de l'année dans tel ou tel pays. À ne pas confondre avec le patrimoine immobilier, industriel ou culturel qui est une accumulation de richesses au cours des ans, et non pas la production annuelle de logements, de machines ou d'œuvres d'art qui est inclue dans le PIB.
Mais paradoxalement le sigle est l'un des plus obscurs du langage économique. En toutes lettres «produit intérieur brut», et chacun de ces trois mots n'est pas d'une clarté absolue. Le «produit» est le résultat de l'acte de production. Ce produit est «intérieur», car on désigne ainsi ce qui est produit par les personnes et les entreprises qui résident à l'intérieur du pays. A contrario le produit des filiales des entreprises françaises à l'étranger n'est pas comptabilisé dans le PIB français, alors que celui des filiales d'entreprises étrangères en France l'est. Quand on souhaite au contraire inclure le travail des filiales françaises à l'étranger (et exclure celui des entreprises étrangères) on parle de PNB, de «produit national brut», un concept aujourd'hui peu utilisé. Quant à la troisième lettre, le B de «brut», c'est la plus énigmatique. Notons que dans le processus de production on fait appel à des équipements qui s'usent bien sûr au fil des ans. Ce capital doit donc être amorti chaque année. La véritable richesse créée est nette de cet amortissement, et théoriquement il serait plus judicieux de considérer le «produit national net». Mais ce concept est peu utilisé en pratique, même si les «comptables nationaux» de l'Insee, dont c'est le rôle d'établir ces comptes, calculent effectivement un amortissement annuel de tous les patrimoines, essentiellement immobilier et industriel, du pays. Cet amortissement total est de l'ordre de 300 milliards d'euros annuellement en France: c'est la différence entre PIB et PIN (produit intérieur net). Le travail effectué à l'intérieur des ménages n'en fait pas partie Notons que ces règles d'amortissement sont de même nature que celles pratiquées par les entreprises, et d'ailleurs la comptabilité nationale obéit aux mêmes principes généraux que la comptabilité des entreprises ou des acteurs individuels et administratifs. Le PIB n'est autre que la consolidation au niveau du pays de tous ces comptes. L'Insee, en France, le définit comme «la somme des valeurs ajoutées» de tous les secteurs institutionnels et des branches d'activités. Des «valeurs ajoutées» et non des productions, car c'est la seule façon d'éviter les doublons: dans le processus de production, les entreprises et autres acteurs de l'économie, échangent entre eux. Or le PIB cherche à mesurer la valeur créée par l'économie du pays et non la somme des productions de ces acteurs, laquelle serait environ six à huit fois supérieur au PIB lui-même (compte tenu des doublons).
Mais qu'est-ce que la «richesse économique»? De façon arbitraire on considère que le travail effectué à l'intérieur des ménages n'en fait pas partie. C'est un choix conventionnel. En revanche une réforme internationale de 2013, comme il en existe périodiquement pour la comptabilité nationale, a décidé que les activités liées à la prostitution et à la drogue pourraient êtres intégrés dans le PIB. Certains pays l'ont fait, comme le Royaume-Uni, alors qu'en France l'Insee a refusé ce choix. Cela a eu pour effet de rehausser de plusieurs points de pourcentage le PIB britannique en 2013 (ainsi que pour les années précédentes qui ont été révisées). Mais cette réforme, certes fondamentale, n'explique en rien les évolutions respectives des PIB français et britannique, entre 2013 et 2014."