Chypre

CHYPRE



  Romaric Godin dans "La Tribune" du 21 avril 2015 Article intitulé : Chypre cède à la troïka pour bénéficier du QE

" Après neuf mois de discussions, de débats et de pression, le parlement chypriote a finalement approuvé samedi 18 avril par 33 voix contre 23 la loi sur les expulsions de propriétaires insolvables. Cette loi va faciliter les expulsions et donc la revente de ces biens. La troïka formée par les représentants du FMI, de la BCE et de la Commission européenne exigeait une telle loi afin de pouvoir évaluer précisément les pertes des banques sur leurs prêts immobiliers et, ainsi, connaître avec précision les besoins de recapitalisation du système bancaire du pays. Les créanciers avaient suspendu les fonds du plan d'aide à Nicosie dans l'attente de ce vote. Surtout, la BCE avait indiqué que sans accord de la troïka, Chypre ne saurait bénéficier du programme de rachat d'actifs publics, autrement appelé QE. La BCE envisageait autrement de racheter 500 millions d'euros de dette publique chypriote.
Pression sur les députés
Mais, depuis plus d'un an, le gouvernement chypriote - très engagé dans le respect des demandes de la troïka - ne dispose plus de majorité stable au parlement. Dans ce cas, le mouvement social-démocrate Edek souhaitait défendre les intérêts des petits propriétaires insolvables. Or, avec ses 5 députés, ce parti fait et défait les majorités. La situation était bloquée, lorsque deux événements sont venus la débloquer. La première est une pression survenue juste avant le vote de la BCE. Vendredi 18 avril, le porte-parole de la banque centrale chypriote indiquait que, sans accord avec les créanciers, la BCE pourrait lever la dérogation qui permet aux banques chypriotes d'utiliser la dette publique du pays - notée par les agences sous la catégorie d'investissement - comme collatéral pour leur refinancement au guichet. C'était menacer Chypre du même destin que la Grèce : la BCE a en effet suspendu cette même dérogation le 4 février dernier pour la dette hellénique. Dans ce cas, Chypre risquait de retomber dans une grave crise de confiance dans son système financier déjà convalescent. Les députés étaient donc alors sous pression. Le ministre des Finances, Harris Georgiades, en contact étroit avec la troïka, a alors concédé l'adoption de deux amendements de l'Edek. Pour les propriétaires de biens de moins de 250.000 euros qui n'ont aucun autre bien et qui accepte un rééchelonnement de leur dette, les expulsions ne seront pas possibles. Dans les autres cas, certaines protections seront accordées aux ménages menacés d'expulsion. Ceci a achevé de convaincre l'Edek de voter la loi qui a donc été adopté samedi. La troïka doit venir dans l'île du 26 au 29 avril, mais il semble désormais évident qu'elle donnera son feu vert au déboursement de la prochaine tranche de l'aide de 86 millions d'euros.
Retour attendu sur les marchés
Le gouvernement ne cachait pas sa joie après ce vote. Son ambition est de revenir sur les marchés financiers et de sortir du plan d'aide. L'inclusion de Chypre dans le programme de QE de la BCE rend cette perspective beaucoup plus réaliste. Soutenues par ces rachats et garanties implicitement par le programme OMT de septembre 2012, les obligations publiques chypriotes pourraient intéresser les investisseurs en mal de rendement. Le vote de la loi sur les expulsions et le dévouement des autorités de l'île à la troïka rassureront aussi sur l'absence de risque d'un scénario « à la grecque » et ceci pourrait aussi soutenir ces rachats. Nicosie pourrait alors se refinancer sur les marchés et sortir officiellement du programme d'aide où elle n'a puisé que 6 des 10 milliards d'euros offerts (mais on sait que les déposants ont payé le plus lourd écot à la crise).
Economie en crise
Reste deux questions. Première question : l'économie chypriote n'est pas certaine de réellement pouvoir profiter de ce scénario. Certes, cette loi vise à réduire la masse de créances douteuses dans les bilans des banques (qui atteignent parfois la moitié de ces derniers), mais les établissements financiers prêteront-ils pour autant à l'économie ? Ravagée par l'austérité, plombée par un chômage de 16 % et par la méfiance des déposants, l'économie chypriote a peu de perspectives de croissance. Reste, aussi, que cette affaire chypriote démontre une nouvelle fois combien la BCE se « politise. » La menace envoyée au parlement vendredi soir a été d'une efficacité redoutable."

Romaric Godin dans "La Tribune" du 5 mars 2015 Article intitulé : Chypre se rapproche ouvertement de la Russie

" Chypre veut se rapprocher de la Russie. En voyage officiel à Moscou, le président chypriote Nikos Anastasiades, a signé un certain nombre d'accord important avec le président Vladimir Poutine. L'essentiel prévoit d'accorder aux navires de guerre russes l'accès aux ports chypriotes de Limassol et de Larnaca. Certes, cet accès est limité sur le papier aux flottes russes « participant à un effort international » de lutte contre le terrorisme, le trafic d'armes de destruction massive ou le piratage. Mais c'est néanmoins une pierre dans le jardin des Occidentaux qui sont actuellement à couteaux tirés avec Moscou sur le dossier ukrainien. Super, l'europe allemande a fait une brèche (grâce au dossier "Chypre") dans le bouclier OTAN. Pourvu que la Grèce foute la patée à Merkel car dans l'inverse il pourrait encore y avoir une autre brèche dans le bouclier OTAN. Bouclier OTAN mis en place suite aux guerres avec l'allemagne. Il est vrai que Merkel parle mieux russe qu'allemand.....
Déclaration de souveraineté
Encore mieux, le porte-parole du gouvernement de Nicosie, Nikos Christodoulides, a indiqué que Chypre « pourrait considérer » une demande russe d'utiliser la base aérienne de Paphos pour des « raisons humanitaires. » La rumeur de l'ouverture de bases militaires russes à Chypre s'était répandue la semaine dernière dans l'île. En réalité, cette ouverture sera conditionnelle. Il n'empêche, Nicosie envoie clairement à ses partenaires européens l'image d'un rapprochement avec Moscou. Interrogé pour savoir si d'autres pays avaient réagi à ces accords, Nikos Christodoulides a répondu sèchement : « la République de Chypre est un Etat qui décide de ses propres affaires, comme tous les autres pays. » Une vraie déclaration de souveraineté...
Chypre, alliée de Moscou au sein de l'UE ?
Désormais, l'Union européenne va devoir compter, dans sa politique russe, avec un gouvernement chypriote moins coopératif. Vladimir Poutine s'est à peine caché qu'il espérait obtenir un soutien de Nicosie pour infléchir la politique de l'UE. « Chypre est un petit pays, mais c'est un membre à part entière de l'Union européenne et, à ce titre, sa voix à la même importance que ceux des autres membres », a précisé dans la conférence de presse le président de la Fédération de Russie. Chypre est aussi militairement importante pour la Russie afin de s'implanter en Méditerranée orientale, entre sa base navale syrienne de Tartus et la Crimée annexée l'an passé. D'autant que les Britanniques ont conservé, depuis l'indépendance de l'île en 1960, deux bases militaires importantes dans l'île.
L'humiliation de 2013
Les Européens se plaindront-ils de ce rapprochement entre Nicosie et Moscou ? Pour le moment, aucune réaction officielle n'est connue, mais c'est une nouvelle épine dans le pied de  la politique de l'UE vis-à-vis de l'Ukraine et du Moyen-Orient. Mais les dirigeants européens ne recueillent ici que les fruits de leurs erreurs passées, notamment sur le plan économique.
Lors de la crise bancaire qui a secoué le pays en mars et en avril 2013, ils ne s'étaient guère privés d'humilier les Chypriotes. Ah l'humiliation chère à une certaine culture et histoire allemande... allemande ou boche ? Le refus du parlement concernant le plan de « sauvetage » du pays avait entraîné un chantage de la BCE menaçant de couper les liquidités aux banques chypriotes et de précipiter le pays hors de la zone euro. Les fonds des déposants dans les banques chypriotes de plus de 100.000 euros avaient été mis à contribution pour renflouer les banques. Les Chypriotes et les Russes, premiers étrangers à déposer leurs fonds dans le système bancaire de l'île, avaient été les premiers touchés.
L'échec de l'austérité à Chypre
Surtout, l'austérité imposée à Chypre depuis cette date n'a toujours pas porté ses fruits, alors même que le pays a joué un rôle d'« élève modèle » dans la réalisation des recommandations de la troïka. Au quatrième trimestre 2014, l'île a connu son quatorzième trimestre de contraction de son PIB. Le retour à la croissance cette année semble compromis, d'autant que la contraction du quatrième trimestre a été de 0,7 % contre 0,3 % au trimestre précédent. Le chômage reste à 17 % de la population active et l'on voit mal comment l'île pourrait retrouver des moteurs de croissance. L'austérité n'a guère attiré, comme l'avait rêvé la troïka, les investissements étrangers, particulièrement européens. Il est vrai qu'il n'y a guère de raisons d'investir à Chypre d'autant que le contrôle des capitaux reste en vigueur... Bref, comme en Grèce, l'austérité a lamentablement échoué à Chypre.
Bienveillance russe
Or, la Russie est le premier partenaire économique et financier du pays. Le gouvernement de Nicosie a plus que jamais besoin que l'argent russe revienne dans l'île et, en cas de levée du contrôle des capitaux, y reste. Lors de la visite de Nikos Anastasiades, des accords économiques dont on ne connaît pas les détails ont été conclus, sans doute pour favoriser les investissements russes. Moscou avait déjà montré sa bienveillance en acceptant une renégociation très généreuse de la dette de 2,5 milliards d'euros accordées en 2011 à Chypre. Là encore, le contraste avec la rigidité européenne qui refuse toute restructuration de dette est frappant... Evidemment, la bienveillance russe a des conditions, dont on a vu qu'elles étaient surtout politiques. Non, militaires
Pourquoi maintenant ?
Pourquoi Chypre décide-t-elle maintenant de ce tournant politique ? Les raisons ne manquent pas. D'abord, évidemment, le conflit ukrainien fait que Moscou est sans doute demandeur d'un appui au sein de l'UE et sa bienveillance concernant le prêt de 2011 le confirme. Mais on sait aussi que le gouvernement chypriote a perdu sa majorité au parlement et peine à y imposer la politique de la troïka. Or, cette dernière exige la mise en place d'une loi facilitant les expulsions, alors que les parlementaires veulent réduire son impact pour protéger les plus fragiles. Ce blocage menace de dégénérer et de conduire la troïka à cesser les versements au budget chypriote. L'alliance russe est un bon moyen de faire pression sur les Européens déjà englués dans le problème grec.
Enfin, le seul espoir économique de Nicosie, ce sont les champs de gaz au large de l'île. Or, depuis quelques mois, des navires turcs croisent dans la zone économique exclusive définie par Nicosie (mais non reconnue - tout comme l'Etat chypriote - par Ankara). Jeudi 26 février, Russes et Chypriotes se sont mis d'accord pour examiner la possibilité d'une participation des sociétés russes à l'exploration et à l'exploitation. Là encore, ce que l'Europe n'a pas su faire en défendant Nicosie sur cette question, Moscou se propose de le faire... Bref, les Européens ont - encore une fois - fait preuve d'une mauvaise estimation de la situation géopolitique. Ils pourraient en payer un prix élevé...