Climat

CLIMAT

 

  Yann Verdo dans "Les Echos" du 28 mai 2015 Article intitulé : Hervé Le Treut, climatologue, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace, professeur à l'UPMC, membre de l’Académie des sciences, : « Un bouleversement sans précédent dans ­l’histoire de l’humanité »

 
" Début mai, l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA) a annoncé que la teneur mondiale de l’atmosphère en CO2 avait pour la première fois dépassé les 400 parties par million (ppm). Que vous inspire cet inquiétant record ?
Pendant les 10.000 ans qui ont suivi la dernière déglaciation, la teneur en CO2 s’est maintenue dans une bande très étroite, entre 270 et 290 ppm. Et puis, de façon extrêmement récente – en gros, depuis les années 1950 –, on a vu cette valeur subitement grimper en flèche, jusqu’à franchir le seuil de 400 ppm aujourd’hui. C’est un bouleversement sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Et qui, même si nous réduisons drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, se fera longtemps sentir. Sur la totalité du CO2 lâché dans l’atmosphère du fait des activités humaines, un quart est neutralisé par les océans, un quart par la végétation ; mais la moitié restante s’accumule inexorablement et durablement dans l’atmosphère.
Sur quoi ont principalement porté les travaux scientifiques des climatologues ces cinq dernières années, en amont du 5e rapport du Giec ?
Je distinguerai trois chantiers majeurs sur lesquels nous avons beaucoup progressé au cours des cinq années qui ont séparé le 4e rapport du Giec du 5e. Le premier est celui d’une meilleure estimation de l’amplitude du réchauffement à venir. Les données satellite ont permis de lever un certain nombre d’incertitudes sur le rôle des nuages, qui est double : d’un côté, ils réfléchissent une partie du rayonnement solaire, ce qui tend à refroidir la Terre (c’est l’effet parasol) ; de l’autre, ils bloquent le rayonnement infrarouge réfléchi par la Terre, ce qui tend à la réchauffer (c’est l’effet de serre). Il est très difficile de dire comment l’équilibre né de ces deux effets ­contradictoires évoluera, mais les données multi-instruments transmises par les satellites nous aident à y voir plus clair. Un autre progrès majeur a été l’interdisciplinarité : nous nous sommes davantage efforcés à étudier le climat en lien avec la végétation, la biodiversité, etc. Enfin, le troisième chantier que je citerai est celui du passage du global au local, de la prévision d’ordre général au risque ponctuel.
Si rien n’est fait pour réduire les émissions et que le réchauffement atteint 4 voire 5 °C d’ici à la fin du siècle, quelles en seront les conséquences majeures ? Je placerai en tête de liste les atteintes à la biodiversité, déjà mise à mal par d’autres phénomènes que le réchauffement climatique (la surpêche, l’agriculture intensive, la déforestation…). L’homme, comme tous les animaux, dépend de cette biodiversité qui l’entoure pour subsister. Une deuxième conséquence sera l’aggravation des inégalités, parce que toutes les régions du monde ne sont pas logées à la même enseigne face au réchauffement climatique. Il est clair que les régions intertropicales, qui dépendent pour leurs apports en eau d’une unique saison des pluies, sont plus fragiles que les autres. Il en va de même des milieux littoraux, du fait de la montée du niveau des mers. Ou des zones de montagne : l’étagement des différentes espèces de faune et de flore en altitude dépend étroitement de la température, qui baisse en moyenne de 6,5 °C par kilomètre. Si le réchauffement atteint 5 °C, ce sont toutes les espèces qui devront remonter de près de 1 kilomètre, avec des conséquences incalculables sur l’écosystème de la zone.
À noter
Une conférence scientifique internationale sur le changement climatique se tiendra à l’Unesco à Paris, du 7 au 10 juillet prochain, sous la présidence d’Hervé Le Treut.
Yann Verdo, Les Echos

En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/02170204163-herve-le-treut-un-bouleversement-sans-precedent-dans-lhistoire-de-lhumanite-1122954.php?TozbsQSofSMZa6Jo.99

  Dominique Pialot dans "La Tribune" du 1 février 2015 Article intitulé : Climat : « les scientifiques ne peuvent pas être plus alarmistes »

" Selon Jean Jouzel, vice-président du Giec, la réduction puis la suppression des émissions de CO2, nécessaires pour limiter la hausse de la température à 2°C, sont techniquement possibles et économiquement viables. En revanche, cela implique de changer complètement notre mode de développement."
Glaciologue et climatologue, Jean Jouzel est vice-président du Giec (Groupement d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), dont il est membre depuis 1994 et colauréat à ce titre du prix Nobel de la paix en 2007. Il est co-auteur avec Anne Debroise de "Le Défi Climatique, objectif 2°C " (Editions Dunod). Il revient sur 30 ans d’études du changement
LA TRIBUNE - Comment a évolué l'approche politique du changement climatique ces vingt dernières années ?
JEAN JOUZEL - Les premiers travaux sérieux sur le sujet remontent aux années 1980. Le Giec a publié son premier rapport en 1990 et ensuite tout est allé plutôt vite et les politiques ont pris très tôt la mesure du problème : le premier sommet de la Terre s'est tenu en 1992, le protocole de Kyoto a été élaboré en 1997...
L'objectif de plafonner la hausse des températures moyennes à 2°C d'ici à 2100, auquel tous les pays ont adhéré, n'a été entériné qu'à partir des COP [conférences sur les changements climatiques, ndlr] de Bali (2006) puis Copenhague (2009) et Cancun (2010). Globalement, il y a une bonne adéquation entre l'analyse scientifique de la situation et le consensus politique sur ce qu'il faut faire. Par ailleurs, alors que notre quatrième rapport [en 2007, ndlr] avait donné lieu à des discussions sans fin, on n'a rien vu de tel lors de la publication du cinquième rapport en 2013 et 2014. Surtout, on n'a jamais autant parlé du sujet. En tant que scientifiques, nous avons l'impression d'avoir fait notre part. On ne peut pas être plus alarmistes. Pourtant, si l'objectif défini par les politiques est le bon, dès qu'il s'agit de passer aux actes, c'est très décevant. Et la hausse des émissions n'a jamais été aussi rapide que ces dernières années.
Sur le plan scientifique, les choses évoluent-elles comme vous l'aviez prévu ?
Oui, tout à fait. Les cinq rapports du Giec font preuve d'une remarquable continuité. En revanche, la hausse de l'effet de serre a été plus rapide, en raison d'un rythme des émissions de plus en plus soutenu, qui a plus que doublé en vingt ans. Nous avions mal anticipé l'émergence de la Chine, qui brûle aujourd'hui 50 % du charbon consommé dans le monde. La concentration de CO2 dans l'atmosphère atteint aujourd'hui 400 ppm (parties par million) et pourrait atteindre 560 ppm, ce qui s'accompagnerait de températures moyennes en hausse de 2 à 5°C d'ici à 2100.
Nous alertons depuis longtemps sur la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes, mais cela devient de plus en plus concret, y compris en France. Le rapport sur le climat de la France au XXIe siècle [publié en août 2014, ndlr] illustre les évolutions possibles sur notre territoire.
Que faut-il faire pour éviter une dégradation catastrophique ?
Nous savons aujourd'hui que la réduction puis la suppression des émissions de CO2, nécessaires pour limiter la hausse de la température à 2°C, n'ont rien d'un rêve. Elles sont à la fois techniquement possibles et économiquement viables. En revanche, cela implique de changer complètement notre mode de développement. Pour que la température moyenne n'augmente pas de plus de 2°C, il faut que nous émettions au maximum 900 milliards de tonnes de CO2 d'ici à la fin du siècle. Au rythme actuel des émissions, cela signifie qu'il faudrait les supprimer complètement d'ici vingt ans. Par ailleurs, ce volume d'émissions correspond à la combustion de 20 % seulement des réserves d'énergie fossile (conventionnelles ou non conventionnelles) facilement accessibles. Autrement dit, nous devons en laisser 80 % là où elles sont. Il y a dix ans, on pouvait atteindre le même résultat en utilisant 50 % des réserves. Mais depuis, les réserves [les gisements en exploitation plus ceux qu'il serait techniquement possible et économiquement rentable d'exploiter, ndlr] ont doublé, pendant que le stock de CO2présent dans l'atmosphère augmentait. On avait par ailleurs l'espoir que le prix des énergies fossiles augmente de façon naturelle, or nous sommes dans la situation inverse. Cela retarde la compétitivité des énergies renouvelables, mais ralentit aussi la prospection pétrolière devenue moins rentable...
Quelles sont les meilleures pistes pour parvenir au plafonnement d'émissions souhaité ?
À long terme, le réchauffement est très largement dépendant de l'énergie, de la façon dont on la produit et dont on l'utilise. On peut espérer des innovations dans le stockage, grâce aux batteries de voitures électriques et à d'autres solutions diffuses. La baisse des coûts des énergies renouvelables est également prometteuse. Et sur le plan technique, on peut encore accroître fortement leur part dans le bouquet énergétique. L'autre piste à creuser en priorité, c'est tout ce qui a trait à l'utilisation de l'énergie, c'est-à-dire l'efficacité énergétique.
Les captage et stockage de CO2 (carbon capture and storage ou CCS, en anglais), qu'il faudrait en priorité appliquer au charbon et au fioul, ne sont pas si faciles sur le plan technique et n'ont aujourd'hui aucun sens sur le plan économique. En revanche, l'association de la bioénergie au CCS est une piste étudiée avec attention, car elle présente un solde d'émissions négatif. Il s'agit de brûler de la biomasse (qui a absorbé du CO2 durant sa croissance), d'utiliser l'énergie ainsi produite puis de piéger le CO2 qui en résulte.
Avons-nous les moyens financiers de lutter contre le réchauffement ?
On évalue le coût des actions nécessaires à environ 0,06 % de PIB par an, à comparer à une croissance mondiale moyenne de 2 % par an. Autrement dit, cela ralentirait la croissance d'un an tous les trente ans... Et encore, ces chiffres ne tiennent pas compte des bénéfices qui en résulteraient, en matière de santé publique notamment.
Bien sûr, il y aura des gagnants et des perdants parmi les acteurs économiques. Mais plus que de contributions financières dont il est beaucoup question dans les négociations internationales, ce dont nous avons besoin, c'est d'action. Et surtout, d'une vraie vision politique à moyen terme, permettant de recréer une dynamique et une confiance.
Le discours du GIEC sur le rôle de l'activité humaine est devenu de plus en plus clair au fil des rapports...
C'est vrai. Dans le premier rapport, on parlait d'effet de serre plus que de réchauffement. Dès le deuxième il est question d'« influence perceptible de l'activité humaine sur le climat », ce qui peut sembler faible, mais a néanmoins abouti au protocole de Kyoto. Au fil des rapports suivants, nous sommes passés à un lien entre l'activité humaine et le réchauffement « probable », puis « très probable » et enfin « extrêmement probable » dans le dernier. On y affirme qu'une part importante du réchauffement est due à l'activité humaine. Au cours des cinquante dernières années, plus des deux tiers de la hausse observée sont intégralement attribuables aux activités humaines.
On démontre également qu'il y aurait une très grosse différence entre une hausse maximale moyenne de 2°C que nous préconisons et une hausse de 4°C. Inévitable si la trajectoire actuelle des émissions se poursuit, elle risquerait de provoquer des effets irréversibles et de rendre toute stabilisation impossible.
Le climato-scepticisme est-il en voie de disparition ?
De façon générale, le scepticisme est une bonne chose. Ce qui est gênant, c'est la mauvaise foi. Sur le climat, il faut accepter d'avoir des certitudes. Nous reconnaissons également beaucoup d'incertitudes, par exemple sur le niveau exact de la hausse des précipitations ou encore le rôle des aérosols [ensemble de particules solides ou liquides d'une substance chimique donnée en suspension dans un milieu gazeux, ndlr]. Mais nos certitudes sont suffisantes pour passer à l'action.
Inondations, perturbations des écosystèmes, feux de forêts... les preuves du changement deviennent de plus en plus perceptibles, et les gens les voient.
D'ailleurs, les climato-sceptiques se font de moins en moins virulents. Sauf le Tea Party américain. Accepter implicitement que le mode de développement actuel n'est pas viable et discuter avec ses voisins dans le cadre des négociations internationales sur le climat sont des attitudes incompatibles avec l'ultralibéralisme...