Taux

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  Sebastien Dubas dans "Le Temps" Suisse du 23 mars 2015 Article intitulé : Taux d’intérêt négatifs: la peur d’une ruée sur le cash

" «Les tentatives visant à contourner le taux d’intérêt négatif, au moyen de dérogations ou de retraits de numéraire, ne servent pas l’intérêt général de la Suisse dans le contexte actuel, car elles vont à l’encontre des intentions de la politique monétaire.» La mise en garde vient du président de la Banque nationale suisse (BNS) lui-même. Jeudi, lors d’une conférence de presse convoquée à Zurich pour expliquer la politique monétaire de l’institution, Thomas Jordan n’y est pas allé par quatre chemins: retirer du cash pour se mettre à l’abri des taux d’intérêt négatifs ne sert à rien. Pire, cela mettrait en danger l’économie suisse.
En soi, cet avertissement n’arrive pas sans raison. Depuis que des taux d’intérêt négatifs de 0,75% ont été mis en place par la BNS au mois de janvier, tous cherchent des moyens d’y échapper. Qu’il s’agisse des banques ou de leurs clients, privés comme institutionnels, sur lesquels le fardeau a été reporté. Si des produits financiers ont été mis en place par les banques pour permettre à leurs clients de ne pas être taxés sur l’argent qu’ils placent chez elles, certains clients préfèrent tout simplement retirer du cash pour le placer dans des coffres-forts.
Des rumeurs font même état de billets de 1000 francs qui pourraient venir à manquer. Jeudi, Thomas Jordan est resté vague quant à l’évolution des volumes d’argent liquide en circulation. Et les statistiques de la BNS ne couvraient, vendredi, que la période allant jusqu’à la fin 2014. «La quantité demandée a augmenté au fil du temps», a tout au plus reconnu le président de la Banque nationale. Quant à l’éventualité de prélever des taxes sur les retraits d’argent liquide, il a précisé que cela n’était pas à l’ordre du jour. Tout en avertissant que garder du numéraire engendre des coûts (transport, stockage, assurances, etc.) et comporte des risques.
Pourtant, la BNS aurait, selon un banquier genevois bien renseigné, tout simplement refusé récemment à plusieurs établissements de retirer d’importantes sommes d’argent de ses coffres. «Soit il n’y a plus assez de billets en stock, ce que je ne crois pas un instant, soit la BNS veut empêcher une pratique qui irait à l’encontre de sa politique de taux d’intérêt négatifs», explique le banquier. Contactée à ce sujet vendredi, la BNS affirme toutefois n’avoir pas refusé le retrait d’argent en cash. Elle souligne néanmoins, par la voix de son responsable de la communication, avoir «dans quelques cas conseillé aux banques de traiter la demande pour des sommes extraordinaires de cash par des clients d’une manière restrictive». Sans plus de précisions si ce n’est que les taux négatifs visent à freiner l’appréciation du franc et sont donc «dans l’intérêt de la BNS, de la Suisse et de son secteur bancaire».
Les caisses de pension sont, ­elles aussi, parmi les premières concernées par les taux d’intérêt négatifs. Au même titre que les banques. Légalement tenues d’avoir à disposition des liquidités suffisantes pour payer les prestations de leurs assurés, elles n’ont pas hésité à monter au front suite à leur instauration. Dans une lettre adressée à la BNS, l’Association suisse des institutions de prévoyance (ASIP) a même demandé que leur soit offerte la possibilité d’ouvrir des comptes à 0% d’intérêt auprès de l’institution monétaire. Sans succès. La BNS n’avait pas voulu faire d’exceptions.
Contacté vendredi, Yves-Marie Hostettler, responsable romand de l’ASIP, rappelle que les caisses de pension, soit 800 milliards de francs en Suisse aujourd’hui, dont une partie importante est investie en monnaies étrangères, devraient également bénéficier à terme de la politique monétaire de la BNS qui vise à affaiblir le franc. Il explique toutefois avoir pris connaissance du fait que certaines institutions de prévoyance étudieraient la possibilité de retirer une partie de leurs liquidités pour les placer dans des coffres-forts. «Mais il leur faut faire une analyse approfondie de la situation, prévient-il. Bien prendre en compte les risques et les coûts d’une telle opération.» Il rappelle ainsi qu’organiser un transfert d’argent liquide requiert la mise en place d’une structure organisationnelle importante. «Tout cela a un coût qui peut être bien plus élevé que de payer des intérêts négatifs de 0,75%», fait-il remarquer.
Enfin, il souligne que «toutes les caisses de pension ne sont pas touchées de la même façon par les taux d’intérêt négatifs. Certaines ont peu de liquidités, d’autres beaucoup.» Selon lui, les caisses qui ont un cash-flow négatif, qui dépensent plus qu’elles n’encaissent d’argent, n’ont pas de réel intérêt à sortir du cash de la banque. «Il est bien plus pratique pour elles de faire leurs opérations, transferts et autres paiements de prestation, via la banque.» A l’inverse, celles qui ont un surplus de liquidités pourraient réfléchir à sortir une partie pour le détenir en cash. Surtout si les taux négatifs sont encore abaissés à l’avenir, ce qui n’est pas impossible étant donné la force du franc actuelle.
Reste que l’intérêt des investisseurs – institutionnels surtout – mais aussi privés pour retirer des montants importants de liquidités existe bel et bien. Face aux nombreuses demandes de clients à ce sujet, le comparateur en ligne Moneyland.ch a publié début mars une étude au sujet des coûts appliqués pour louer des coffres. Les tarifs par litre varient entre 6 et 35 francs par an, a calculé en moyenne le site. Un montant de 1 million de francs – constitué de billets de 1000 francs – ne nécessite que 0,133 litre d’espace. Partant de cette estimation, un montant de 10 millions de francs peut être conservé dans un coffre moyennant quelques dizaines de francs. Voilà pour la théorie. En réalité, le propriétaire devra aussi tenir compte des frais d’assurance supplémentaires et être attentif aux risques liés au transport d’argent."

Dans "Bilan" Suisse du 21 mars 2015 Article intitulé : La chute de l'euro face au dollar illustre la guerre des monnaies

" La chute de l'euro face au dollar illustre une nouvelle fois la "guerre des monnaies" qui se joue à l'ombre de banques centrales désireuses, par le biais de la devise, de dynamiser leurs économies mises à mal par la crise.
Le séisme qui a frappé le système financier en 2008 puis la crise de la dette en Europe entre 2010 et 2012 ont mis les institutions monétaires en première ligne et chacune d'entre elles a mis toutes ses forces dans la bataille pour assurer à son pays les meilleures conditions monétaires.
"Nous sommes vraiment dans un processus où la politique monétaire s'est substituée à la politique budgétaire", car "les gouvernements n'avaient plus de marges de manoeuvre budgétaires", explique Christopher Dembik, un économiste de Saxo Banque.
Après la crise de 2008, "les banques centrales sont intervenues, car très vite les gouvernements ont dû se restreindre, ayant déjà dépensé plus qu'ils ne le pouvaient", note également Patrick Jacq, un spécialiste de la dette chez BNP Paribas.
Le Graal généralement recherché est une monnaie faible, qui rend les prix à l'exportation attractifs et aiguillonne les ventes des entreprises, donnant ainsi un bol d'air à l'économie dans son ensemble.
"Tout le monde veut booster sa croissance économique et recourt ainsi aux bonnes vieilles méthodes, à savoir affaiblir sa monnaie pour gonfler ses exportations et augmenter ainsi de façon rapide et sûre son produit intérieur brut"
, résume Eric Vanraes, gérant obligataire du fonds d'investissement EI Sturdza, basé en Suisse.
Pour autant, remarque M. Jacq, "l'arme de la monnaie est rarement un objectif officiel" et la Banque centrale européenne (BCE) a ainsi toujours dit qu'elle n'avait pas d'objectif de change.
Cet objectif n'a pas été formulé officiellement, "mais elle le pensait tellement fort que tout le monde l'a entendu", lance René Desfossez, spécialiste de la dette chez Natixis, car "les changes sont un des principaux leviers sur lesquels elle joue" pour assurer "les conditions monétaires les plus favorables possible à la reprise de l'économie" européenne.

L'envolée de la devise américaine a néanmoins poussé la Réserve fédérale américaine (Fed) à s'émouvoir publiquement cette semaine, par la voix de sa présidente Janet Yellen, du "poids pour la croissance américaine" d'un dollar fort.
24 BANQUES CENTRALES ONT DÉJÀ ABAISSÉ LEURS TAUX EN 2015
Car comme toutes les banques centrales jouent la même partition, en ajustant en permanence leurs dispositifs ou en puisant dans leurs réserves de change pour maintenir leur devise dans des limites acceptables, leurs stratégies se retrouvent souvent en opposition. D'où l'expression utilisée par les spécialistes de "guerre des monnaies".
Et dans une telle configuration, les plus solides sont logiquement en position de force.
"Aujourd'hui les principales banques centrales", à savoir la BCE, la Fed, la Banque populaire de Chine et la Banque du Japon, "tiennent les rênes de cette guerre, les autres réagissant avec retard et essayant de limiter les dégâts, explique M. Dembik.
L'épisode le plus marquant de ce point de vue a été le renoncement brutal de la Banque nationale suisse (BNS) mi-janvier à la politique qu'elle menait depuis trois ans pour empêcher le franc suisse de monter trop face à l'euro.
L'exemple est toutefois loin d'être isolé. "Cette année, 24 banques centrales ont déjà abaissé leurs taux. A la mi-mars, la banque centrale de Serbie, celle de Corée et la thaïlandaise l'ont fait", et la Russie leur a emboîté le pas, détaille Greg Smith, analyste chez World First.

En lançant le 9 mars un programme d'ampleur historique de 1140 mrd EUR d'achats d'actifs d'ici septembre 2016, la BCE a ainsi fait sérieusement pencher la balance en défaveur du dollar.
"La hausse continue du dollar pose un dilemme pour la Fed", notamment car elle "entame la capacité des exportateurs (américains) à rester compétitifs", estime Simon Smith, analyste chez FxPro.
"Depuis le moins d'août, le dollar s'est apprécié de quelque 25% face au panier moyen des grandes monnaies mondiales", relève M. Vanraes.
Mais selon lui, "la question aujourd'hui, c'est surtout la Chine: comme le yuan est arrimé au dollar, la banque centrale chinoise pourrait faire l'inverse de la BNS et dévaluer sa monnaie".
Un geste qui relancerait une nouvelle fois la compétition.