Sociologie

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Dans "Trends Tendances" Belgique du 25 septembre 2015 : 'Quel est le prix de votre vie ? La froide logique économique le détermine...'

" Quel est le prix d'une vie humaine ? Difficile d'avoir une question plus dérangeante... Surtout si l'on sait que la vie d'un Américain est de 3 millions de dollars, celle d'un Européen vaut 1,5 million d'euros et celle d'un Africain... tout juste 50.000 dollars. Les chiffres que je cite ne sont pas très connus et ont été obtenus par Linda Bendali, une journaliste très tenace de la chaine de télévision Arte, qui a consacré tout récemment (1) un documentaire sur "Le prix de nos vies". Et encore, ces explications, elles les a obtenues par téléphone, car son interlocuteur ne voulait pas laisser de traces écrites.
Soyons clairs, ceux qui connaissent le mieux le prix d'une vie, ce sont les assureurs, comme le précise le magazine Challenges, car c'est leur métier d'indemniser les parents des victimes d'un crash aérien par exemple. Et dans ces cas-là, les données sont souvent assez confidentielles, du fait d'ailleurs de la volonté de discrétion à la fois des assureurs, des avocats, mais parfois aussi des parents des victimes.
Quel est le prix de votre vie ? La froide logique économique le détermine...
Le documentaire de Linda Bendali démontre par exemple qu'après le crash aérien du 9 août 2007 au large de Papeete - qui a causé la mort de 19 passagers -, le tribunal n'a pas indemnisé les parents des victimes de la même manière. Les proches de deux cadres supérieurs ont encaissé un peu plus de deux millions d'euros, celle d'un fonctionnaire 1,1 million, contre 461.000 euros pour un cadre moyen et 219.000 euros pour une jeune employée d'une PME. Vu rapidement comme cela, on se dit que, même face à la mort, les riches et les pauvres ne sont pas logés à la même enseigne !
En réalité, et c'est pourquoi ce sujet du "prix d'une vie humaine" est souvent tabou, c'est parce que ce prix répond à une logique économique froide et statistique. En clair, les indemnités sont établies en fonction de la perte financière subie par la famille, calculée en fonction de l'âge et des ressources financières de la victime.
C'est choquant à dire, mais le récent crash du vol low cost de Germanwings ne mettra pas à genoux les assureurs concernés, selon Challenges. La raison ? Il y a eu certes 150 victimes, mais la majorité de ces victimes avait des revenus modestes. Et dans ce drame humain, il y avait aussi un bébé... Et encore une fois, aux yeux des actuaires des compagnies d'assurance, un enfant ou un bébé coûte moins cher qu'un adulte pour les raisons que j'ai évoquées. C'est horrible de parler comme cela, et c'est d'ailleurs pourquoi ce sujet est encore très tabou, car il est impossible de dire à la face du monde que, pour des raisons purement économiques, une personne vaut davantage qu'une autre, une fois morte.
La seule exception à ce principe, c'est la médiatisation. De même que la photo de l'enfant syrien noyé sur les plages de Turquie a fait sauter certains verrous politiques en Europe, le crash du Concorde à Roissy en juillet 2000, par exemple, a eu un tel retentissement médiatique que les indemnités ont dépassé le million d'euro par personne, alors que ces personnes étaient en réalité souvent retraitées. En clair, les assureurs peuvent aller à l'encontre de leurs règles lorsque la pression médiatique est trop forte. Ce documentaire sur "le prix de nos vies" pose un constat terrible, mais c'est hélas la réalité !
(1)Spécial Investigation, "le prix de nos vies" de Linda Bendali (Canal +), voir aussi le magazine Challenges, 3 septembre 2015

Dans "Trends Tendances" Belgique du 24 août 2015 :  Verra-t-on bientôt fleurir les pancartes 'Des humains travaillent ici' ?

" L'information n'a pas fait grand bruit, pourtant elle exprime bien l'état d'esprit des grandes entreprises et en particulier de certaines multinationales à l'affût de toute forme de réduction des coûts. Au départ, il s'agissait plutôt d'une bonne nouvelle. Aux États-Unis, les salariés des fast-foods américains viennent de remporter une belle victoire après des années de mobilisation: le salaire minimum va enfin passer de 7,25 dollars de l'heure à 15 dollars. Mais si cette hausse de salaire est un départ, l'arrivée risque d'être moins amusante, dans le sens où le journal Washington Post croit savoir que cette hausse des salaires va inciter les employeurs du secteur à essayer de remplacer les humains par des robots. Selon le Washington Post, plutôt que de doubler les salaires de leurs employés, ces fast-foods pourraient se tourner vers des technologies susceptibles de les remplacer.
À Phoenix, en Arizona, un Mc Donald's a fait le choix d'opter pour un restaurant entièrement géré par des robots dans le but de diminuer le déclin de ses bénéfices. Certes, il y a encore des salariés, mais leur rôle se limite à s'assurer que tout fonctionne bien, à réceptionner les produits de base, à collecter l'argent récolté par les robots. Résultat: ces robots vont 50 fois plus vite que des humains, et sans se tromper. En cas de succès de cet essai, d'aucuns pensent qu'on pourrait imaginer une généralisation de ce phénomène.
Verra-t-on bientôt fleurir les pancartes 'Des humains travaillent ici' ?
C'est d'autant plus probable que, comme le font remarquer pas mal d'économistes, le fait que les taux d'intérêt soient très bas depuis des années incite les entreprises à robotiser et automatiser un maximum leur activité, vu que ces entreprises peuvent emprunter des capitaux à un très faible prix. Certains pensent même que si le chômage ne diminue pas, c'est à cause des fonctionnaires de la Banque centrale européenne (BCE) qui maintiennent les taux d'intérêt artificiellement bas. En voulant relancer, grâce à cela, la machine économique, ces fonctionnaires non élus renforcent en réalité le taux de chômage.
Mais comme le fait aussi remarquer le Washington Post à propos des fast-foods américains, l'humain ne sera pas totalement remplacé dans ce genre de job, notamment pour des raisons de sécurité. Et puis qui sait, dans certains cas, la présence d'êtres humains pourrait s'avérer être même un avantage concurrentiel. Dans pas mal de restaurants aujourd'hui, on voit des petites pancartes sur la vitrine indiquant qu'il y a une terrasse ou un jardin à l'arrière du restaurant. Qui sait, demain verra-t-on sans doute la même pancarte indiquant qu'il y a des êtres humains qui travaillent dans le restaurant.

 Amid Faljaoui dans "Trends Tendances" Belgique du 17 juin 2015 Article intitulé : Pourquoi les dirigeants d'Apple, Google, etc. ont bien raison d'être paranos

" Aujourd'hui, je vais vous donner quelques chiffres pour vous montrer l'importance du nouveau monde, un monde que les experts appellent le GAFA. Le G.A.F.A, c'est l'acronyme de quatre sociétés qui en quelque sorte dirigeront le monde de demain: G pour Google, A pour Apple, F pour Facebook et le dernier A pour Amazon. Google a gagné la guerre des moteurs de recherche sur Internet en 4 ans à peine. Apple a inventé le marché des tablettes en à peine 80 jours. Facebook a capturé 16% de votre temps quotidien en à peine 10 ans. Quant à Amazon, ce géant de la distribution a remplacé pas mal de détaillants en à peine 7 ans !
A eux 4, ces GAFA sont devenus des géants de l'économie: la croissance des revenus de Google, Apple, Facebook et Amazon est plus importante que celle de la Chine. Et ces 4 géants de l'Internet génèrent autant de revenus qu'un pays comme le Danemark, mais avec 10 fois moins de personnes.
Mais malgré ces chiffres, malgré l'importance prise au quotidien par ces sociétés technologiques, les dirigeants du GAFA se sentent très vulnérables. Je dirais même plus: ils sont paranos ! Vraiment paranos ! Prenez le cas du fondateur de Google, Sergueï Brin. Alors que Google maîtrise 80% du marché des moteurs de recherche sur Internet, il n'a pas hésité à déclarer: "pour l'extérieur, nous sommes Goliath et les autres David. Vu de l'intérieur, nous sommes David et les autres Goliath."
Pourquoi les dirigeants d'Apple, Google, etc. ont bien raison d'être paranos
Le pire, c'est que ce sentiment paradoxal de fragilité n'est pas unique. Les autres dirigeants de Facebook ou d'Amazon vivent également avec ce sentiment de précarité ! Pourquoi ? Mais parce qu'ils se souviennent tous du livre écrit il y a 20 ans par Andy Grove, l'ancien PDG d'Intel, le fabricant de puces pour ordinateurs. Son livre avait pour titre: "Seuls les paranoïaques survivent". Le titre était d'actualité, car si Intel avait quasi le monopole des puces intégrées dans nos PC, ses dirigeants avaient raté, en revanche, le virage des smartphones et aujourd'hui encore, ils courent après ce marché devenu capital !
En résumé, si les patrons de Google, Apple, Facebook ou Amazon sont paranos, c'est parce qu'ils savent qu'à tout moment, quelque part sur cette planète, quelqu'un peut inventer quelque chose auquel ils n'ont pas pensé et détruire d'une certaine manière leur business. Cette parano est formidable, car elle n'est pas négative. Cette peur est même le moteur principal de la vitalité des sociétés de high-tech en Californie.
Au fond, on pourrait presque dire que pour viser l'immortalité, il faut d'abord être convaincu de sa propre précarité de sa propre mort. Et si vous vous demandez pourquoi ces sociétés, comme Google ou Facebook, sont sans pitié pour leurs concurrents aujourd'hui, vous avez là un élément de réponse: la peur. Autrement dit, Goliath est un grand parano qui se prend pour David.

 Amid Faljaoui dans "Trends Tendances" Belgique du 8 juin 2015 Article intitulé : La culture occidentale se nourrit de stress, de manque de sommeil et de burn-out


" Et si pendant les réunions et durant toute votre journée, votre smartphone ou votre iPad n'est jamais loin, à portée de main, et que vous ne cessez de vous interrompre pour le consulter, c'est que la techno-dépendance vous guette. La dernière livraison de la revue "Dirigeants" a d'ailleurs consacré son numéro à cette hyper-connexion des cadres et dirigeants dont le contenu pourrait être résumé en une phrase: "je suis connecté, donc je suis noyé".
Pour Kelly McGonigal, une psychologue qui étudie le comportement à la faculté de médecine de Stanford, "les gens ont une relation pathologique avec leurs outils technologiques. Ils ne se sentent pas seulement accros, mais aussi prisonniers".
Arianna Huffington, une Américaine fondatrice d'un site d'information qui s'est exporté dans le monde entier, vient de consacrer une partie de son livre (1) à ce mal du siècle qui a failli lui coûter la vie. Vu de l'extérieur, elle avait réussi sa vie, car elle avait de l'argent et du pouvoir. Mais en réalité, elle a failli mourir le 6 avril 2007 à cause d'une mauvaise chute. Sa tête avait heurté l'angle de sa table... Elle s'était effondrée victime de la fatigue et du manque de sommeil. Elle s'en est sortie, mais s'est jurée de changer sa vie et de ne plus, par exemple, parler à ses filles tout en tapotant sur le clavier de son smartphone. Ce qu'elle avait remarqué, c'est que dans sa vie, et bien entendu dans celle de tous les cadres dirigeants stressés, l'espace, les intervalles, les pauses, le silence - bref, tout ce qui permet de nous régénérer et de recharger nos batteries - avaient en quelque sorte disparu ! Elle explique que la culture occidentale se nourrit en fait de stress, de manque de sommeil et de burn-out. Le manque de sommeil est une évidence, car avec les nouveaux outils technologiques nous sommes branchés 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Et nous cherchons donc, dit-elle, à avancer à toute heure dans notre travail. Pourtant, ce manque de sommeil, de recul est négatif sur notre productivité et nos prises de décision: le naufrage du pétrolier Exxon Valdez, l'explosion de la navette Challenger et les accidents nucléaires de Tchernobyl et de Three Mile Islands étaient tous dus, partiellement, au manque de sommeil, nous rappelle Arianna Huffington !
En fait, le nouveau mal du siècle, c'est cette impression de n'avoir jamais assez de temps pour faire tout ce que nous avons prévu. C'est ce qu'on appelle "la famine temporelle". Et donc, Arianna Huffington, qui avait réussi au sens de l'argent et du pouvoir, a découvert, à l'occasion d'un accident qui a failli lui être fatal, qu'il lui manquait un troisième élément: la sagesse.
Sa vieille mère le lui a rappelé lorsqu'elle avait tendance à se plaindre de sa vie trop trépidante. Sa vieille maman d'origine grecque lui disait: "Ma chérie, change de chaîne. C'est toi qui a la télécommande. Ne repasse pas ce mauvais film qui fait peur".
(1)S'épanouir, réussir sans défaillir, éditions Fayard