Islande

ISLANDE

 


 Romaric Godin dans "La Tribune" du 9 juin 2015 Article intitulé : L'Islande tourne définitivement la page de la crise

" L'Islande veut définitivement tourner la page de la crise. Lundi 8 mai, le Premier ministre islandais, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, a annoncé qu'il engageait la levée du contrôle des capitaux qui avait été instauré en pleine crise, voici près de six ans et demi.. Une opération risquée et qui sera un test décisif pour prouver si la stratégie suivie par l'Islande - une stratégie peu orthodoxe au regard de la plupart des économistes - était la bonne.
Les sources de la crise
 
Pour comprendre la situation de l'île nordique, il faut revenir aux sources de la crise. Le 7 octobre 2008, trois semaines après la faillite de Lehman Brothers, les trois grandes banques du pays, Kaupthing, Glitnir et Landsbanki sont en état de cessation de paiement. Durant les années 2002-2008, ces trois banques ont bénéficié de l'afflux massifs de capitaux et d'un refinancement attractif sur les marchés internationaux. Elles se sont développées de façon exponentielles et ont offert à leurs clients des rendements vertigineux. En cet automne 2008, leur total de bilan cumulé atteint 185 milliards de dollars, soit 14 fois le PIB islandais. Leurs seules dettes s'élèvent à 85 milliards d'euros ou six la richesse nationale. Après la panique qui a suivi le 15 septembre et la faillite de Lehman Brothers, le marché se referme pour les banques islandaises jugées soudainement trop risquées.
L'instauration du contrôle des capitaux
L'Etat islandais ne peut évidemment pas faire face. Le 7 octobre, il nationalise les banques, gèle les comptes, appelle le FMI et instaure un strict contrôle des capitaux. L'enjeu est alors d'éviter un bank run et une sortie massive de capitaux qui conduirait à l'effondrement de la couronne et à l'hyperinflation. Les réactions internationales sont alors vives, notamment au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Dans ces deux pays, Landsbanki a collecté via sa filiale Icesave et ses rendements astronomiques pas moins de 6,7 milliards d'euros qui sont désormais gelées en Islande. Le Premier ministre britannique Gordon Brown réplique alors en traitant l'Islande comme un Etat voyou ou une organisation terroriste et gèle à son tour les avoirs islandais au Royaume-Uni.
Une première tentative de règlement
A Reykjavik, le nouveau gouvernement de centre-gauche négocie alors avec Londres et La Haye. L'Islande subit alors une récession profonde, le PIB recule de 5,1 % en 2009 et de 3,1 % en 2010. Le gouvernement espère alors attirer à nouveau les investissements étrangers en réglant l'affaire Icesave et en levant, dans la foulée, le contrôle des capitaux. Reykjavik accepte de prendre à sa charge les 3,8 milliards d'euros de garantie des dépôts qu'ont dû assumer les Britanniques et les Néerlandais. Le paiement de cette somme, alors égal à environ un tiers du PIB islandais, s'étalera sur 14 ans. L'accord est adopté en décembre 2009 par l'Althing, le parlement islandais, mais le président islandais refuse de promulguer la loi et convoque un référendum.
Le peuple islandais refuse de payer
93 % des votants rejettent en mars 2010 le projet d'accord. Un deuxième plan est élaboré et soumis en avril 2011 à référendum. Il est aussi rejeté par 59 % des votants. L'Islande ne paiera pas. En janvier 2013, la cour de l'association européenne de libre-échange (AELE), l'ensemble économique qui regroupe l'UE, la Suisse, le Liechtenstein, la Norvège et l'Islande, déboute définitivement la Commission européenne qui avait contesté le référendum en estimant que les garanties de dépôts sont de la responsabilité des Etats qui les accordent et pas des débiteurs. La petite Islande a gagné son bras de fer contre le reste du monde.
Limitation des effets de la crise
Cette victoire a permis de limiter les effets de la crise sur la population qui n'a pas eu, comme les Irlandais ou les Chypriotes, a supporté le coût du remboursement des créanciers des banques. L'Islande n'a pas échappé à l'austérité et à « l'ajustement », mais le choc a été limité. Dès 2011, la récession est terminée et l'Islande résiste à l'affaiblissement mondial de 2012-2013, affichant une croissance de 3,6 % en 2013 et de 1,9 % en 2014. Cette année, elle pourrait être de 2,7 %. Le niveau de PIB en volume devrait dépasser en 2010 celui de 2008 et le PIB par habitant était, lui, supérieur de 8 % au niveau d'avant-guerre dès l'an dernier. Le chômage, un temps à plus de 9 % est repassé aux alentours de 4 %. Le tourisme et la pèche soutiennent l'économie et les salaires réels ont progressé de plus de 5 % l'an dernier. C'est un bilan bien plus positif que n'importe lequel des pays « modèles » de l'austérité comme l'Espagne ou l'Irlande. A noter pourtant que le « modèle » islandais reste à relativiser : le pays est un des plus riches du monde et bénéficie d'une autonomie en termes énergétiques qui réduit sa dépendance vis-à-vis de l'étranger.
Doper la croissance
La victoire islandaise a cependant un revers : elle a contraint les gouvernements à maintenir le contrôle des capitaux. Les investisseurs, effrayés par ce défaut choisi par le peuple islandais, se seraient, sans ce contrôle, précipités hors d'Islande. Or, cette mesure a, à son tour, deux effets négatifs : elle décourage les investisseurs de venir l'Islande et elle laisse inutilisée les fonds « gelés » pendant la crise qui attendent l'ouverture des frontières pour être rapatriés. Cependant, jusqu'ici, l'Islande a pu s'en passer, le retour à la croissance assurant la croissance de l'investissement. Mais le niveau de ce dernier demeure inférieur de 36,5 % à celui de 2008. L'actuel gouvernement de centre-droit, arrivé au pouvoir en 2013, qui souffre à son tour d'une forte impopularité, cherche à donner un nouveau coup de fouet à la croissance et à apparaître comme celui qui a terminé la crise. D'où son idée de lever le contrôle des capitaux.
Risques d'une crise des changes
Le FMI s'est récemment inquiété de cette volonté. Malgré la croissance solide de l'île, la levée du contrôle des capitaux conduira nécessairement l'offre de couronnes à exploser, ce qui pourrait provoquer une crise des changes. Pour empêcher ce scénario catastrophe, le gouvernement va faire précéder la levée du contrôle des capitaux par des mesures drastiques. Les détenteurs de créances gelées envers les banques islandaises - principalement des fonds spéculatifs - devront ainsi supporter une ponction de 39 % avant de pouvoir récupérer ces fonds. C'est une ponction en réalité généreuse, car sur le marché, les titres de la dette bancaire islandaise s'échangeaient entre 12 % et 30 % de leur valeur nominale.
Maîtriser la chute de la couronne
Reykjavik espère ainsi que cette ponction de 900 milliards de couronnes, soit environ 6 milliards d'euros permettra de réduire l'impact sur le marché des changes. D'autant qu'un autre groupe d'investisseurs détenteurs de 300 milliards de couronnes (environ 2 milliards d'euros) de dettes à court terme sera invité soit à échanger leurs avoirs contre de la dette long terme de l'Etat en couronnes ou en euros ou contre des devises à taux fixes. Le gouvernement espère surtout que sa générosité envers les créanciers renversera l'image des pays et permettra d'attirer les investissements dans le pays, réduisant encore le choc sur le marché des capitaux. Rien ne dit que cette stratégie fonctionnera. Le gouvernement joue là son va-tout. S'il échoue et que la chute de la couronne échappe à la Banque centrale, c'en sera sans doute fait de son sort.
Enjeu politique
Les deux partis au pouvoir, le Parti de l'Indépendance et le Parti du progrès, ont déjà beaucoup souffert du refus de soumettre à référendum l'abandon de la procédure d'adhésion à l'UE. Un sondage du 1er juin de Galup confirmait l'effondrement du parti du progrès du Premier ministre Sigmundur David Gunnlaugsson qui était crédité de 8,9 % contre 24,5 % en 2013. Son allié, le parti de l'Indépendance, souffre moins mais perd près de 4 points, à 23 %. La coalition au pouvoir doit faire face à la montée du parti Pirate crédité de 34,1 % des voix. L'Islande n'échappe donc pas à ce phénomène désormais connu de l'après-crise : le discrédit des élites politiques et le besoin de changement de l'électorat. Ce parti pirate, qui défend la liberté sur Internet avait réalisé en 2010 et 2011 de bons scores en Allemagne dans les élections régionales, avant de s'effondrer. En sera-t-il de même en Islande ? La réponse repose en partie dans le succès de la levée des capitaux par le gouvernement.

  Romaric Godin dans "La Tribune" du 23 avril 2015 Article intitulé : L'idée choc étudiée en Islande : et si on retirait aux banques la capacité de créer de la monnaie ? ENFIN !

" Un rapport parlementaire islandais suggère de donner à la seule banque centrale le monopole de la création monétaire. Une vraie révolution, si l'idée était appliqué... Décidément, l'Islande est le pays de la créativité financière. Après avoir montré, en 2009, qu'il existait bien une alternative au transfert de la dette bancaire vers la dette publique, l'île nordique pourrait s'apprêter à réaliser une grande expérience monétaire. Le 31 mars dernier, en effet, le président du comité des affaires économiques de l'Althingi, le parlement islandais, Frosti Sigurdjonsson, a remis un rapport au premier ministre, Sigmundur Gunnlaugsson, sur la réforme du système monétaire islandais. Et c'est une véritable révolution qu'il propose.
L'absence de maîtrise de la banque centrale sur le système monétaire
Le rapport cherche en effet à réduire le risque de bulles et de crises dans le pays. En 2009, l'Islande a connu une crise très aiguë qui a fait suite à une explosion du crédit alimenté par un système bancaire devenu beaucoup trop généreux dans ses prêts et beaucoup trop inconscient dans sa gestion des risques. Ni l'Etat, ni la Banque centrale islandaise (Sedlabanki) n'ont pu stopper cette frénésie. « Entre 2003 et 2006, rappelle Frosti Sigurdjonsson, la Sedlabanki a relevé son taux d'intérêt et mis en garde contre une surchauffe, ce qui n'a pas empêché les banques d'accroître encore la masse monétaire. »
Comment fonctionne le système actuel
Dans le système actuel, ce sont en effet les banques commerciales qui créé l'essentiel de la masse monétaire, en accordant des prêts à discrétion. La banque centrale ne peut que tenter de décourager ou d'encourager, par le mouvement des taux ou par des mesures non conventionnelles, cette création. Mais la transmission de la politique monétaire aux banques n'est jamais une garantie.
Malgré la hausse des taux de la Sedlabanki, la confiance et l'euphorie qui régnait en Islande au début des années 2000 a soutenu le processus de création monétaire. Lorsque la demande existe, rien ne peut empêcher les banques de prêter. Lorsqu'elle disparaît, rien ne peut les contraindre à le faire. Et souvent, ces mouvements sont excessifs, ce qui créé des déséquilibres, puis des corrections par des crises où l'Etat doit souvent venir au secours des banques. Et lorsqu'il faut faire repartir l'activité, les banques centrales ont souvent des difficultés à être entendue.
Le cas de la zone euro en est une preuve. Il a fallu que la BCE use de moyens immenses, l'annonce d'un QE de 1.140 milliards d'euros, pour que le crédit commence à se redresser dans la zone euro et encore, de façon fort limitée pour l'instant.
Une idée ancienne
D'où cette idée centrale du rapport de Frosti Sigurdjonsson : ôter aux banques le pouvoir de création monétaire. Comme le souligne l'ancien président de l'autorité financière britannique, Aldair Turner, qui préface le rapport, « la création monétaire est une matière trop importante pour être laissée aux banquiers. »
Cette idée n'est, en réalité, pas neuve. Après la crise de 1929, des économistes étatsuniens avaient proposé en 1933 le « plan de Chicago » qui proposait d'abolir la capacité des banques à créer par elle-même de la monnaie. Il avait eu un grand succès, mais pas de traduction concrète véritable.
En 1939, l'économiste Irving Fischer, un de ceux qui avaient examiné de plus près la crise de 1929, avait proposé de transférer le monopole de la création monétaire à la banque centrale.
James Tobin, Milton Friedman et d'autres ont également réfléchi sur ce sujet. Mais la proposition islandaise, que Frosti Sigurdjonsson présente comme « une base de discussion » pour le pays, est la première proposition de passage à un autre système qu'il appelle le « système monétaire souverain. »
Décider de la création monétaire dans l'intérêt de l'économie
Quel est-il ? Le rapport indique que l'Islande « étant un Etat souverain avec une monnaie indépendante est libre de réformer son système monétaire actuel, qui est instable et de mettre en place un système monétaire de meilleure qualité. » Dans ce système, seule la Banque centrale aura le monopole de la création monétaire, aucune couronne ne pourra circuler si elle n'a pas été émise par la Sedlabanki à l'origine.
Cette dernière pourra donc faire évoluer la masse monétaire en fonction de ses objectifs « dans l'intérêt de l'économie et de toute la société. » Frosti Sigurdjonsson propose qu'un « comité indépendant du gouvernement prenne des décisions sur la politique monétaire de façon transparente. »
La Banque centrale créera de la monnaie en accordant des prêts aux banques commerciales pour qu'elles prêtent ensuite des sommes équivalentes aux entreprises et aux particuliers, mais aussi en finançant des augmentations de dépenses publiques ou des exemptions d'impôts, ou encore par le rachat de dettes publiques. Pour empêcher la création monétaire par le système bancaire, deux types de comptes auprès de la banque centrale seront créés.
Comptes de transactions et d'investissements
Les premiers seront les « comptes de transactions. » Ces comptes représenteront les dépôts des particuliers et des entreprises. Les banques commerciales administreront ces comptes, mais ne pourront pas en modifier les montants. L'argent déposé sur ses comptes ne rapportera pas d'intérêt, mais sera garantie en totalité par la banque centrale.
Un deuxième type de comptes, les « comptes d'investissements », sera créé en parallèle. Les agents économiques pourront transférer des fonds des comptes de transaction vers les comptes d'investissements. L'argent placé sur ses comptes seront investis par les banques et seront bloqués durant une période déterminée.
Les banques pourront alors proposer à ceux qui placent leur argent dans ces fonds différents types de produits, notamment des produits risqués à haut rendement. Il s'agit concrètement de séparer autant qu'il est possible l'argent du crédit. Le risque lié au crédit ne disparaît pas, mais il est limité par l'obligation de ne prêter que l'argent déposé sur ces comptes d'investissements.
Plus de Bank Runs
Pour Frosti Sigurdjonsson, ce système permettra une gestion plus réaliste de la masse monétaire non plus dans l'intérêt des agents privés, mais dans celui de la collectivité. La garantie sur les dépôts permettra d'éviter une course aux guichets (Bank Run), sans réduire, du reste, la responsabilité de ceux qui auraient investi dans des produits à risque.
Avec ce système, une séparation bancaire entre banque d'investissement et banque de dépôts n'est pas nécessaire, puisque l'activité de banque de dépôts sera garantie par la banque centrale. Du reste, la garantie implicite de l'Etat dont bénéficient les grandes banques disparaîtra d'elle-même.
Gérer la transition
Pour la transition, Frosti Sigurdjonsson propose de transférer les dépôts détenus dans les banques commerciales vers les comptes de transaction. Ce transfert se fera par l'émission d'une créance sur les banques qui sera détenue par la Sedlabanki et qui sera payée sur plusieurs années par les banques.
Ce « passif de conversion » s'élèverait à 450 milliards de couronnes islandaises, soit 3,05 milliards d'euros. Cet argent issu des banques commerciales sera donc progressivement remplacé par de l'argent issue de la banque centrale. Dans cette phase de transition, les sommes versées par les banques pourraient servir soit à réduire la dette publique, soit à réduire, si besoin, la masse monétaire, par l'annulation d'une partie des fonds versés.
Les problèmes posés
Cette proposition ne règlera certes pas tous les problèmes. Certes, les prêts seront sans doute moins importants et la croissance de l'économie sans doute moins forte. Mais le projet est d'avoir une économie plus stable et, sur le long terme, tout aussi performante. Plutôt que de voir l'économie croître de 5 % par an, puis de corriger de 3 % ; on pourrait avoir une croissance stable de 2 % par an sans à-coup...
L'indépendance du comité de la Banque centrale sera très hypothétique, car l'Etat sera une courroie naturelle de la création monétaire et un risque d'excès n'est pas, ici, à exclure, même si l'Etat peut aussi bien prétendre représenter l'intérêt général que ce comité indépendant.
Mais une ambiguïté peut ici être problématique. Les liens avec les autres systèmes monétaires classiques pour une petite économie comme l'Islande sont encore à explorer. Matthew Klein, dans le Financial Times, a souligné également que ce nouveau système ne réduit pas le risque de financement d'investissements à long terme par des investissements à court terme qui avait été à l'origine de la crise de 2007-2008.
Enfin, il ne s'agit là que d'une proposition. Le premier ministre a bien accueilli le rapport. Mais ira-t-il jusqu'à lancer un tel chambardement de grand ampleur ? Les Islandais seront-ils prêts à franchir le pas ? La discussion est, du moins, lancée."

Dans "Le Figaro" du 12 mars 2015 Article intitulé : Islande: retrait de sa candidature à l'UE
   
" L'Islande a annoncé aujourd'hui avoir retiré sa candidature à l'Union européenne, deux ans après l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement eurosceptique de centre droit qui promettait de mettre un terme au processus lancé en 2009. Le ministre des Affaires étrangères, Gunnar Bragi Sveinsson, a indiqué dans un communiqué avoir fait part de cette décision à la Lettonie, qui préside l'UE et qui en a informé la Commission européenne. "Les intérêts de l'Islande sont mieux servis en dehors de l'Union européenne", a écrit le ministère sur son site internet.
Un gouvernement de gauche avait déposé sa candidature à une époque où une grave crise financière avait ébranlé la confiance des citoyens dans leurs institutions, et suscité l'envie de rejoindre la zone euro au vu de la chute de la valeur de la couronne. Mais une question est toujours en suspens: comment combler le fossé entre Bruxelles et Reykjavik sur les quotas de pêche, pilier de l'économie islandaise. Ce sujet épineux n'a jamais été abordé lors des négociations entre juin 2011 et janvier 2013."